Sénégal-50419
ACCUSE DE CRIME CONTRE L’HUMANITE
Le procès de Hissène Habré retardé pour manque d’argent
L’ancien président tchadien, Hissène Habré, sera-t-il, jugé, un jour, en Afrique, tel que souhaité par l’Union Africaine (Ua) qui a mandaté le Sénégal à organiser ce procès ? Cette question mérite d’être posée au regard des multiples difficultés rencontrées par les plaignants pour faire valoir leur droit. Depuis 2006, en effet, le Sénégal avait été chargé par l’organisation continentale de juger, pour l’exemple, l’ancien homme fort tchadien, en lieu et place de la Cours Pénale Internationale (CPI), qui avait été saisie, à cet effet, par d’anciennes victimes du bourreau. Les chefs d'Etat africains réunis alors à Addis Abéba, en Ethiopie, avaient exprimé leur opposition de voir un des leurs traîné devant une juridiction siégeant hors du continent pour des délits commis en Afrique. Ils voulaient aussi montrer que le continent est bien capable de juger ses criminels sans une interférence de la communauté internationale.
Hélàs! Près de trois ans après cette décision controversée, ce procès, tant attendu, par les familles des victimes et les défenseurs des droits de l’homme, n’a toujours pas eu lieu. Comment admettre alors que le Sénégal puisse ainsi traîner les pieds, au point d’être soupçonné, par les victimes et rescapés de la dictature d'Habré, de refuser de rendre ce petit service à l’Afrique ? Le Sénégal qui est dirigé, on se le rappelle, par un avocat de profession qui se veut une référence, en matière de respect des droits de l'homme, invoque le manque d’argent pour justifier ces lenteurs, provocant du coup, la colère des plaignants. Pour Jacqueline Mouréna, présidente de l'Association des victimes et rescapés des crimes et tortures sous le règne d'Hissène Habré, le motif invoqué par les autorités sénégalaises pour justifier le retard constaté, dans l’ouverture du procès, est loin d’être convaincant. « La position du Sénégal qui refuse de juger cet homme est essentiellement basée sur des considérations d’ordre politique. Cela constitue une seconde torture pour les familles des victimes et rescapés de la dictature d’Hissène Habré », dit-elle.
La seule initiative de taille à mettre au crédit de ce dossier, n’aura été que le voyage effectué à Dakar, courant décembre passé, par une délégation de l’Union européenne conduite par Hermon Von Hebel, greffier adjoint au Tribunal spécial pour le Liban. Durant son séjour, cette délégation a eu des entretiens, avec des émissaires de l’Union africaine et des hauts responsables de la justice sénégalaise pour évaluer le budget nécessaire à la tenue du procès. Une rencontre tripartite devant réunir autour d’une même table, des représentants de l’Ue, de l’Ua et des autorités judiciaires sénégalaises se tiendra prochainement dans la capitale sénégalaise pour fixer ce montant, selon une source judiciaire sénégalaise. Les autorités sénégalaises avaient, dans un premier temps, évalué ce budget à un peu plus de 274 millions d'euros. Mais, l'Union européenne qui a promis d'apporter un appui financier pour faciliter la tenue de ce procès, n'avait pas voulu mettre la main dans la poche estimant que le coût prévisionnel était plutôt excessif.
Pour démontrer leur bonne foi, les autorités sénégalaises avaient déjà modifié la Constitution et le Code pénal, pour disent-elles, faciliter la jurisprudence à cette fin, mais depuis, rien ne semble bouger de manière concrète. C’est dire que les familles des victimes et rescapés de l’ancien dictateur, ont des raisons de s'inquiéter. Ils craignent de voir l’ancien président mourir sans avoir eu à répondre de ses crimes, devant la justice comme ce fut le cas au Chili avec le général Pinochet.
Le président Habré est poursuivi pour crime contre l’humanité, tortures, assassinats politiques et violations des droits de l’homme. Il est nommément accusé, d’avoir ordonné l’assassinat de plusieurs milliers de personnes, avant et pendant son règne. Hissène Habré aurait commis plus de 1.200 cas de tortures durant ses huit années passées au pouvoir, selon les organisations de défense des droits de l'homme. Human Rights Watch estime, quant à elle, à plus de 40.000 victimes, le nombre de personnes assassinées par la police politique de l'ancien homme fort de Ndjamena, entre 1982 et 1990.
Après la chute de son régime en 1990 par l'actuel président tchadien, Idriss Deby, Hissène Habré a vidé les caisses de l'Etat avant de venir se réfugier au Sénégal, où il coule des jours apparemment paisibles. Toute honte bue, Me Abdoulaye Wade, le chef d’Etat du Sénégal, a récemment déclaré qu’ « il n’y aura pas de procès tant que le budget n’est pas disponible ». Ces propos avaient été interprétés par les Organisations de défense des droits de l’homme et le collectif des avocats de la partie civile, comme une fuite en avant des autorités sénégalaises, qu’ils soupçonnent de vouloir protéger l’ancien président tchadien pour qu’il échappe à un procès. C’est Me Sidiki Kaba l’avocat sénégalais des familles des victimes qui lui a répliqué: « cette condition financière (posée par le Sénégal : Ndlr), souffre de transparence et de crédibilité », a-t-il alors déclaré.