Le Mali célèbre le cinquante-deuxième anniversaire de son indépendance, alors que la «grande nation» voulue par le premier président, Modibo Keita, se meurt à petits feux, selon un rapport d’Amnesty International.
La Grande mosquée de Djenne
(patrimoine mondial de l'Unesco), septembre 2012. © REUTERS/Joe Penney
Le vendredi 21 septembre était classé
journée à risque au Mali. Comme dans une vingtaine d’autres pays, le ministère
français des Affaires étrangères avait décidé d’y fermer consulat, institut
culturel et écoles par crainte de manifestations ou de violences à la suite de
la publication par l’hebdomadaire satyrique français Charlie Hebdo de
caricatures du prophète de l’islam.
Finalement, rien.
«On n’en a même pas parlé à la grande prière», raconte un habitué d’une mosquée
de Badalabougou, sur la rive droite du fleuve Niger.
«L’ambassade a fermé pour répondre à la demande de Paris. C’était loin d’être la
panique. On n’a même pas envoyé de SMS aux Français», comme c’est souvent le cas
lors de situations tendues, témoigne un des agents de la représentation
diplomatique.
Les jours précédents, les religieux du Mali avaient condamné les caricatures et
le film anti-musulmans, tout en appelant au calme et en invitant à ne pas réagir
à la provocation dans le contexte difficile que traverse le Mali.
Qu’à cela ne tienne, c’est dans la morosité que les Maliens célèbrent le 52e
anniversaire de l’indépendance de leur pays, acquise le 22 septembre 1960.
Les nouvelles sont plus que jamais mauvaises
Le Mali a perdu pour une durée indéterminée ses trois régions du nord, tombées
aux mains des djihadistes, et compte des centaines de milliers de réfugiés et de
déplacés. Sur une route de la capitale, le slogan de la fête de 2010, «Le
cinquantenaire, c’est pour nous», donne envie de rire… ou de pleurer.
Ceci d’autant plus qu’un récent rapport de l’ONG Amnesty International n’augure
rien de bon pour le pays. Le rapport revient sur les atrocités commises par les
djihadistes dans le Nord-Mali.
Le 8 août 2012, sur la place publique d’Ansongo (région de Gao), Alhader Ag
Almahmoud, un éleveur de bétail, a été amputé de la main droite avec un couteau
de boucher, une chambre à air de vélo en guise de garrot et sans anesthésie.
Il a ensuite été enfermé pendant huit jours avant d’être autorisé à recevoir la
visite d’un «aide-soignant».
L’application de la justice divine, selon l’interprétation du Mouvement unicité
et djihad en Afrique de l’Ouest qui l’accusait de vol de bêtes. Il a raconté à
Amnesty International qu’«après l’amputation, le propriétaire du bétail volé est
venu déclarer que les bêtes avaient été retrouvées».
Depuis leur conquête des principales villes des trois régions du nord, début
avril, les djihadistes ont amputé sept personnes, en ont fouetté d’autres et ont
lapidé à mort un couple non-marié ayant eu un enfant.
Alhader Ag Almahmoud répond d’une voix presque inaudible aux questions des
journalistes. Gêné, l’un d’entre-deux lui demande après mille excuses s’il n’a
pas été puni en raison de son appartenance supposée au Mouvement national de
l’Azawad (MNLA), le mouvement indépendantiste touareg chassé par les islamistes
après avoir été son allié de circonstance.
«Je n’ai jamais fait partie d’aucun groupe armé», traduit-on pour lui.
Dans son nouveau rapport, Amnesty International réitère ses accusations contre
le MNLA, qui aurait violé des «femmes et des jeunes filles» lors de son entrée
dans les principales villes du nord.
Des accusations réfutées par Moussa Ag Assarid, membre de l’aile politique du
MNLA, selon qui «Amnesty n’a jamais enquêté sur le terrain».
Le pas de deux du MNLA
Le MNLA revendique toujours le contrôle de plusieurs villes et
affirmant «être le seul à avoir la volonté et la capacité de lutter contre les
terroristes».
Nul ne sait pour le moment si ce mouvement se battra un jour contre les
djihadistes ou contre les forces pro-gouvernementales, accusées toutes les deux
de recruter des enfants soldats.
L’ONG dénonce notamment l’enrôlement et la formation militaires «d’enfants» dans
plusieurs camps d’entraînement de la région de Mopti, avec l’accord et le
soutien des autorités».
Le gouvernement avait pourtant officiellement déclaré le 30 août:
«La défense de l’intégrité du territoire national est une mission régalienne de
l’Etat. Par conséquent, aucune autre initiative parallèle de substitution aux
forces armées et de sécurité ne saurait être tolérée.»
Comme preuve l’ONG publie une photo d’un passage d’un registre du camp militaire
du Front de libération du nord (FLN).
On y voit les noms, les professions, les photos, les numéros de téléphone et les
dates de naissance de plusieurs recrues. La plus jeune a 16 ans.
La plupart des recrues sont des noirs, comme les militaires maliens qui ont tué
dans la nuit du 8 au 9 septembre, à Diabali (région de Ségou) seize Maliens et
Mauritaniens arabes qui se rendaient à Bamako pour la réunion annuelle du
mouvement Dawa.
Selon un témoignage recueilli par Amnesty International les militaires les ont
pris pour des islamistes. Ils les ont amenés dans un camp avant de leur tirer
dessus quand ils remontaient dans leur véhicule.
Sans ce drame les Maliens auraient appris tardivement qu’allait se tenir dans
leur capitale, et avec le consentement des autorités, un important rassemblement
de prédicateurs, du 14 au 21 septembre.
«Les membres de la Dawa vont à la rencontre des gens pour leur dire comment
pratiquer l’islam, en leur disant “ça c’est bien, ça non”, avec pour objectif de
convertir au salafisme», explique Mathieu Guidère, spécialiste de l’islam.
La réunion a finalement été annulée. Mais Amnesty International révèle que la
Dawa, qui a sa base dans un quartier de la rive sud du fleuve Niger, faisait
l’objet d’une surveillance de la part des autorités.
Dans un pays musulman à 95%, les autorités maliennes redoutent donc désormais
une contagion islamiste au sein même de la capitale.
Fabien Offner à Bamako
Source:http://www.slateafrique.com