Rencontre avec le célèbre écrivain algérien Yasmina Khadra, dont le roman «Ce que le jour doit à la nuit» a été adapté au cinéma.
Khadra, un nom qui permet beaucoup de choses. Ce n’est pas Mohamed Moulesshoul, plus connu sous le nom de Yasmina Khadra, qui vous dira le contraire. Perché au 7e étage de l’immeuble qui abrite le centre culturel algérien depuis 1984, le bureau de l’auteur algérien domine le quartier cossu du XVe arrondissement de Paris.
Le directeur du centre culturel, c’est
lui. Même si Yasmina Khadra s’en défend dans la presse, ce poste est synonyme de
son appartenance au système algérien. Attablé à son bureau couvert de journaux,
l’écrivain affublé de lunettes rondes signe un autographe. Au fond de la pièce,
un tableau représentant Saint-Exupéry flanqué d’une casquette de pilote d’avion.
«L’auteur du Petit Prince veille sur moi», dit-il.
Commandant Khadra, le conservateur?
Commandant de l’armée algérienne en 2000, Yasmina
Khadra a donc troqué les armes pour les belles lettres.
Un choix difficile dans une Algérie qui sortait à peine d’une décennie sanglante et dévastatrice. Un traumatisme dont les Algériens ne se seraient jamais remis et qui expliquerait leur frilosité pendant les soulèvements de 2011. Alors que des mouvements populaires balayaient les régimes autocratiques tunisiens et égyptiens, l’Algérie tremblait à peine:
«Dès le début, j’ai dit qu’il n’y aurait rien. Je connais mon pays. Je ne lui souhaite pas de basculer dans la violence. La violence n’a jamais arrangé les choses. Elle ne fait que les aggraver. A nous de prouver que nous sommes capables de changement sans détruire ce qui gravite autour. Beaucoup ont tendance à oublier que l'Algérie a vécu son soulèvement en 1988, alors que les autres pays arabes étaient cadenassés.»
Est-ce l’écrivain reconnu mondialement ou le directeur du centre culturel algérien qui parle?
L’idée d’un «soulèvement populaire» ne l’enchante guère. Il y voit les prémices de la dévastation et de la violence, comme l’ont déjà vécu les Algériens dans les années 1990.
Selon lui, cette décennie marque au fer la société algérienne, dont la frilosité politique se transforme en nervosité ou en aigreur dans la vie quotidienne. Ses détracteurs ont donc une bonne excuse (sic).
«Maintenant, le peuple algérien est fatigué», ajoute-t-il, comme pour justifier l’immobilisme des Algériens. Mais à y regarder de plus près, de nombreux citoyens se mobilisent au quotidien pour critiquer la gérontocratie au pouvoir et ses dérives autoritaires. Pour preuve, les routes coupées, les marches déterminées des gardes communaux, les grèves…
Un ras-le-bol que «l’écrivain algérien le plus connu du monde», comme il aime le rappeler, n'ignore pas. L’exaspération de ses concitoyens est telle que le romancier en vient lui-même à réclamer un changement. Reste à savoir lequel!
«Le changement est inévitable en Algérie. Il faut que ceux qui nous dirigent comprennent qu’il faut laisser les Algériens construire par eux-mêmes leur avenir.»
Khadra, nationaliste et patriote
Rentrée littéraire oblige, les affaires s’accélèrent pour Yasmina Khadra. Son roman Ce que le jour doit à la nuit est sorti au cinéma le 12 septembre. «Une aubaine pour le roman», pense-t-il.
Le film adapté de son roman, et réalisé par Alexandre Arcady, nous plonge dans l’Algérie française et «l’Algérie algérienne».
«Un siècle et demi de cohabitation où Algériens et Français ne partageaient pas les mêmes rêves et les mêmes aspirations. Pendant trop longtemps, les Algériens ont été bafoués, chosifiés, niés en tant qu’hommes et femmes.»
Au final Yasmina Khadra garde l’image d’Algériens qui «n’ont jamais accepté d’être colonisés», avant même la naissance de l’Etoile nord africaine (association de travailleurs émigrés créée en France en 1926, et devenue par la suite un parti politique, avant d'être dissout en 1937) incarné par l'indépendantiste Messali Hadj.
«132 ans de dialogue de sourds entre l’occupant et l’occupé», rappelle-t-il sans allusion aucune à d'éventuelles excuses ou «repentance» de la part des autorités françaises. Yasmina aurait-il tourné la page, alors que d’autres peinent toujours à le faire?
Alors que le pays fête cette année un demi-siècle d’indépendance, les mémoires demeurent toujours vives, prêtes à se déchirer pour rétablir la vérité.
«Il y a des gens qui n’arrivent pas à tourner la page. Les Français d’Algérie étaient attachés à cette terre et ils se sont retrouvés apatrides du jour au lendemain.»
Soudain, un homme d'une cinquantaine
d'années entre dans le bureau et nous interrompt. Il vient saluer le maître des
lieux en baissant légèrement la tête et s’éclipse aussi vite qu’il est entré.
«Je suis en interview», précise le romancier. Certainement son prochain
rendez-vous... Une interruption qui fait office de piqure de rappel: Yasmina
Khadra, l’écrivain et directeur du centre culturel algérien est un homme
sollicité. C’est noté.
Khadra, le géopoliticien
Retour en Algérie, celle d’aujourd’hui, que
l’écrivain ne perd pas de vue. «Je connais bien mon pays»,
insiste-t-il. Patriote, Yasmina Khadra. L’ex-commandant de l’armée algérienne
est fier de rappeler le courage des soldats et des citoyens qui ont combattu le
terrorisme pendant la décennie noire. Une guerre civile qui a coûté la vie à
100.000 Algériens selon certaines estimations. Des milliers de familles espèrent
toujours revoir un fils, un cousin disparu pendant cette période.
«Même si la menace est toujours présente, le pays peut se targuer de ne pas avoir sombré dans le chaos. En dépit de l’inaction des puissances occidentales.»
Ces mêmes puissances qui demandent aujourd’hui à l’Algérie de combattre les katiba (unité combattante) djihadistes d’al-Qaida au Maghreb islamique ou d’Ansar Dine (défenseurs de la religion) au Nord-Mali.
Or pour Alger, seul compte l’intégrité de ses frontières. Les appels du pied du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, n’y ont rien fait. Yasmina Khadra va plus loin. Selon lui, la France est la seule responsable de la crise malienne. C’est donc aux troupes françaises d’intervenir:
«Le problème du Sahel, c’est la France qui l’a créé en s’attaquant à la Libye. A l’époque tout le monde savait que le pays de Kadhafi était le refuge de tous les combattants de la région. En menant une guerre contre le régime libyen, ils ont libérés tous ces mercenaires qui ont rejoint al-Qaida.»
L’écrivain Khadra dit ne pas aimer la géopolitique. Or le directeur du centre culturel algérien ne peut se défaire de son statut hautement politique. Qu’il le veuille ou non. Ce sont d'ailleurs des thèmes qu'il aborde beaucoup dans son roman L'équation africaine (éd.Julliard), où l'écrivain s'interroge sur l'avenir du printemps arabe et notamment des répercussions de la guerre libyenne sur «l'hypothétique stabilité de la région».
«La crise au Mali n’est pas un problème africain, mais bien un problème français. On ne joue pas au feu sans se brûler», conclut-il.
Nadéra Bouazza
Source:
http://www.slateafrique.com