L’auteur
Ahmadou Kourouma né en 1927, dans la petite ville de Boundiali, préfecture de la
Côte d’Ivoire, est l’un des écrivains les plus importants du continent africain.
Auteur engagée, il fut couronné par La France avec plusieurs prix littéraires,
dont le prix Renaudot et Goncourt des lycéens en 2000 pour Allah n'est pas
obligé et le prix du livre inter 1999 pour En attendant le vote des bêtes
sauvages. Il était profondément marqué par le regain de violence en
Côte-d'Ivoire et disait à propos de son dernier roman Quand on refuse on dit non
lors d'une ses dernières interviews :
« Je voudrais que le pouvoir le lise. Cela pourrait permettre de réfléchir, de
prendre du recul sur la situation, de voir les responsabilités de chacun et ce
qui a conduit à tout cela. Je n’écris pas rapidement. J’espère que la situation
se sera améliorée avant que le livre ne soit terminé. »
Hélas, il meurt en 2003 en France sans avoir pu constater de réels changements
dans son pays natal.
Au cours de sa vie, il s’est illustré dans plusieurs genres tels
que le théâtre avec Tougnantigui ou le Diseur de vérité, pièce censurée au bout
de quelques représentations à Abijan en 1972, reprise en 1996 puis éditée en
1998 chez Acoria. Il a également écrit des romans : Les Soleils des
indépendances (1968), Monnè, outrages et défis en 1990, En attendant le vote des
bêtes sauvages en 1994, et enfin Allah n’est pas obligé en 2000, et Quand on
refuse on dit non en 2004.
Polyvalent, il s’est aussi illustré dans les livres jeunesse avec par exemple
"Le griot, homme de parole aux éditions Grandir", comme beaucoup de ses livres.
Son dernier roman, "Quand on refuse on dit non", est un manuscrit inachevé.
Ahmadou Kourouma aurait commencé à écrire un roman sur l’histoire de la Côte
d’Ivoire et sur le conflit qui endeuille le pays depuis 2002 sans avoir eu le
temps de finir son œuvre. Il est la suite de son dernier roman Allah n’est pas
obligé, dans lequel il dresse le portrait d’un enfant-soldat, mais aussi des
conflits africains.
Résumé
Ce roman a pour toile de fond les événements dramatiques du pays en guerre. On y
retrouve donc Birahima, l’enfant-soldat qui, arrivé chez son cousin après avoir
fui la guerre, travaille dans une compagnie de taxis-brousse et tente de
parfaire son éducation. Cette vie tranquille va l’amener à rencontrer Fanta, la
jeune fille d’un imam, « belle comme un masque de gouro ». Fasciné par sa beauté
et son intelligence, il acceptera de la conduire en zone rebelle pour fuir la
ville de Daloa où a eu lieu un massacre, en espérant trouver protection et
soutien chez les siens à Bouaké. Tout au long de leur voyage, Fanta se propose
de lui raconter leur histoire, celle de la Côte d’Ivoire. Tous les thèmes sont
abordés, de la production de cacao aux élections corrompues. Birahima interprète
de façon naïve et malicieuse l’histoire de son pays. C’est toute une page
d’histoire qui se dévoile dans le temps de la fuite et du voyage.
Analyse
Ce livre est véritablement une leçon de vie. Nous apprenons au fil des pages
l’histoire d’un pays, ses coutumes, en apprenant à connaître ses habitants.
Birahima est le reflet de toute une génération, qui a grandi dans le conflit,
les massacres et la violence. Face à toute l’horreur que représentent les
guerres, il présente une certaine naïveté et une prise de conscience
inexistante.
« Pour la première fois j’avais l’occasion de me faire valoir devant Fanta… Je
répondis tout de suite que j’avais tué beaucoup de personnes avec le
kalachnikov. Avec un kalach, je pouvais tuer tous les Bété, tous les loyalistes,
tous les affreux. J’avais pillé des maisons, des villages. J’avais violé… »
Comme Birahima, nous apprenons, nous découvrons un pays et une histoire qui est
en train de se faire et dont nous ne connaissons pour ainsi dire rien. C’est
avec une plume plus que réaliste qu’Ahmadou Kourouma livre un message accessible
à tous, pour tous. Par-delà l’histoire d’un pays, il y a la langue parlée, et le
livre est un véritable dictionnaire, qui rend le récit plus réaliste encore. On
retrouve donc cette volonté de tout montrer, tout partager et tout dévoiler. La
plupart des mots employés dans la langue natale sont des insultes ou des
reproches que fait Birahima. On trouve par exemple « Faforo ! » qui est traduit
par « cul de mon papa ! », « Walahé ! » qui signifie « Au nom d’Allah ! ». On
remarque par ailleurs que Kourouma n’a pas peur d’abuser des parenthèses pour
nous traduire tous les mots ou les expressions ivoiriens. C’est d’ailleurs grâce
à Birahima que nous apprenons ce vocabulaire. En effet tout au long du récit il
garde avec lui son dictionnaire et va justifier l’emploi d’un mot que l’on
risquerait de ne pas comprendre, mais aussi l’emploi des mots qu’il a appris
récemment ou qu’il ne maitrise pas totalement : « Elle en a apporté deux autres
qui ont été vite ingurgités (gloutonnement absorbés). » ; « Quand c’est une
communauté de toubabs (de blancs), on dit une civilisation, mais quand c’est des
noirs, des indigènes, on dit tribu ou ethnie (d’après mon dictionnaire). » Il y
a donc une véritable transmission de culture : Kourouma souhaite montrer pour
dénoncer, Birahima souhaite montrer pour faire comprendre, et Fanta désire
montrer pour instruire.
L’histoire se développe autour d’une rencontre, celle de Birahima et Fanta, deux
personnages très différents. Ellle est instruite, réfléchie, d’un caractère
calme. Lui est un guerrier, un assassin, et tente de s’instruire. C’est tout son
parcours que nous suivrons, son apprentissage, grâce à Fanta, mais c’est
également le nôtre : nous apprenons avec lui. Il y a dans ces personnages tout
ce que souhaite révéler Kourouma : Birahima est l’œuvre de la guerre, de la
violence et de l’ignorance. Fanta elle, porte avec elle l’espoir et la
connaissance de toute une génération.
Une dernière volonté
Quand on refuse on dit non est comme un testament laissé par Ahmadou Kourouma à
ses compatriotes, c’est un message de paix, de tolérance et d’espoir dans le but
d’arrêter ces massacres qui déchirent le pays et des populations entières. Le
titre sonne comme un appel à la liberté, à l’émancipation. Ce roman inachevé a
été écrit dans l’urgence (huit mois de travail ininterrompu) et représente un
véritable défi, son dernier défi d’homme. C’est celui d’arriver à montrer un
pays, une histoire qui est en train de se faire et de dénoncer au plus vite.
La dernière phrase du livre : « Et il y avait des gbagas pour Bouaké » est sans
doute la dernière que Kouoruma ait saisie sur son ordinateur. Le roman
s’interrompt alors sur une double promesse, celle d’un passage de frontière pour
la sécurité, mais celle aussi peut-être d’un passage, d’une nouvelle aventure
pour Fanta et Birahima, qui devrait demander la main de la jeune fille. L’auteur
laisse ici la porte ouverte à n’importe quelle suite pour le malicieux
enfant-soldat, une porte ouverte aussi, sans doute, sur un avenir meilleur.
Laure, 1ère année édition-librairie.
Ahmadou KOUROUMA sur LITTEXPRESS