Pour faire découvrir les paysages uniques du Nord-Est tchadien, un voyagiste français a affrété des avions pour Faya. Un an après la première expédition, le goût de l'aventure semble avoir pris.
Il est tout à la fois mystérieux, fascinant, sauvage et hors du temps. Dans le
nord-est du Tchad, le long de la frontière soudanaise, le massif de l'Ennedi ne
cesse de surprendre : ses milliers de pics de grès sculptés par les vents et le
sable, ses lacs (salés ou non), ses larges vallées d'acacias, ses canyons
labyrinthiques et guelta (points d'eau) insoupçonnées, ses caravanes de
dromadaires cheminant vers les sources... au fil du sable et de l'eau, tout est
à la fois simple, époustouflant et apaisant.
Réputé être l'un des joyaux les plus secrets et inaccessibles du Sahara, rongé
par près de quarante ans de conflits et de rébellions - mais en paix depuis 2009
-, le nord du Tchad, terre des Toubous, s'est ouvert aux touristes. Depuis un
peu plus de un an, la coopérative française de voyageurs Point-Afrique propose
des circuits de randonnée inédits pour découvrir ces paysages grandioses.
Aux amoureux du désert, marcheurs ou néophytes, dix-sept circuits sont proposés.
Rêve
À l'ouest du massif de l'Ennedi, Faya-Largeau, la capitale de la région du
Borkou, héberge l'unité militaire française du fameux dispositif Épervier, lancé
en 1986 pour protéger le régime de Hissène Habré d'une invasion de la Libye, qui
soutenait son rival déchu, Goukouni Weddeye. La vie de Faya reste rythmée par
les atterrissages des Transall qui viennent ravitailler les forces françaises,
toujours présentes. À l'exception de rares vols officiels tchadiens, aucun
appareil civil ne se posait sur la petite piste bitumée isolée au milieu des
sables... Jusqu'à il y a peu. Car, à des milliers de kilomètres de là, en
Ardèche (sud-est de la France), Maurice Freund, le fondateur de Point-Afrique,
nourrissait un vieux rêve : poser un avion par semaine à Faya pour emmener ses
randonneurs à travers le Borkou et l'Ennedi.
Dans le même temps, « nous avions
envie de faire redécouvrir aux voyageurs ces régions désormais sécurisées »,
explique Mahmoud Younous, directeur général de l'Office tchadien du tourisme.
Sur la même longueur d'onde, les Tchadiens ont vite donné leur bénédiction au
projet de Point-Afrique. En revanche, les autorités françaises l'ont vu d'un
mauvais oeil, considérant qu'il était totalement imprudent d'envisager de telles
expéditions. Forte pression du Quai d'Orsay, rumeur d'attentat contre l'avion,
énormes problèmes de logistique... Pour Maurice Freund, l'organisation du
premier vol s'est transformée en véritable parcours du combattant. Mais, décidé
à aller jusqu'au bout, il a tenu le cap. Et le 22 février 2012, le Boeing 737
s'est posé sans encombre à Faya-Largeau.
Désormais, les trois longs jours de piste entre N'Djamena et le Borkou ne sont
plus un passage obligé. Depuis décembre dernier, deux à trois fois par mois, les
appareils affrétés par Point-Afrique (les vols sont assurés par le français Air
Méditerranée) débarquent 100 à 140 passagers en provenance de Marseille sur
l'aérodrome de Faya, en pleine remise aux normes.
Nouveaux métiers
Aux amoureux du désert, marcheurs chevronnés, néophytes en quête de sérénité et
d'inédit... dix-sept circuits sont proposés (en 4x4 et promenades, randonnées ou
treks), pour 1 000 à 1 500 euros la semaine et 2 000 à 3 600 euros les deux
semaines. Bien qu'aucun bilan chiffré n'ait encore été établi, cette nouvelle
forme de tourisme équitable a déjà des retombées économiques dans ces régions
pastorales enclavées. Sur place, une dizaine de guides et accompagnateurs,
autant de cuisiniers et de chauffeurs locaux, sont déjà employés. Ils doivent
être formés à ces métiers, nouveaux pour eux. Reste à pérenniser l'aventure.
Quelque 400 téméraires l'ont tentée en février-mars 2012. Ils devraient être
entre 1 300 et 1 600 pour la saison 2012-2013 (de fin septembre à fin mars), 6
000 en 2013-2014 et 11 000 en 2014-2015, selon l'Office tchadien du tourisme. Si
le succès est au rendez-vous, il n'est cependant pas certain que ces objectifs
soient atteints.
En effet, le déclenchement de l'opération Serval dans le Nord-Mali et la prise
d'otages d'In Amenas en Algérie, en janvier, ont sérieusement freiné les ventes.
Un ralentissement que l'enlèvement de sept touristes français dans le nord du
Cameroun, le 19 février, a encore aggravé. Le ministère français des Affaires
étrangères déconseille désormais formellement les voyages dans le sud-ouest du
Tchad, le long de la frontière avec le Cameroun - depuis le lac Tchad jusqu'au
niveau des villes de Binder et Léré, dans le Mayo-Kebbi-Ouest. Le secteur est
classé comme zone rouge, de même que les régions frontalières de la
Centrafrique, du Niger, du Sud libyen et du Soudan, « susceptibles d'être
utilisées comme couloirs, voire zones de repli pour certains groupes en
provenance du Nord-Mali », selon l'avis émis par le Quai d'Orsay.
De son côté, le tour-opérateur français maintient que la sécurité des voyageurs
est assurée. « La Garde nationale nomade du Tchad patrouille dans nos zones, et
nous n'avons jamais eu à déplorer d'incident », garantit Philippe Freund, le
fils du fondateur de Point-Afrique, qui n'envisage pas de renoncer aux vols
prévus en mars. Le 25 février, sur les 141 clients censés s'envoler de Marseille
pour Faya, seuls 13 ont préféré se conformer aux directives sécuritaires des
autorités françaises et annuler leur départ.
Le Sahara, de la passion à la raison
Depuis plus de quatre décennies, Maurice Freund, 69 ans, se bat pour un tourisme
éthique, respectueux de l'autre et de son environnement. Après l'Inde, le
Mexique et l'Amérique du Sud, le fondateur de Point Mulhouse, devenu
Point-Afrique en 1996, a décidé de concentrer ses vols charters sur le continent
africain pour amener des voyageurs dans des régions réputées difficiles en
Algérie, en Mauritanie, au Niger et au Mali. Après l'enlèvement des premiers
touristes dans l'Adrar mauritanien en 2007, la montée de la menace terroriste et
le classement en zone rouge de ces régions par les autorités françaises ont
contraint le tour-opérateur à abandonner successivement Atar (Mauritanie),
Tamanrasset et Djanet (Algérie), Gao et Mopti (Mali) puis Agadès (Niger),
jusqu'à suspendre complètement les activités qu'il avait développées depuis
quinze ans dans ces pays.
Entre 2009 et 2011, la société a perdu 6,5 millions d'euros et son effectif est
tombé de 90 à 5 salariés. Une fois la paix revenue au Tchad (en 2009), fidèle à
sa passion pour les paysages et les peuples de la bande sahélo-saharienne,
Maurice Freund a misé sur le Borkou et le massif de l'Ennedi. Il a ainsi noué un
mariage de raison avec le pays, le seul qu'il dessert désormais dans la région.
Dans un premier temps, pour la saison 2013-2014, il compte étoffer son offre
dans le Nord. Mais il projette déjà de développer de nouveaux circuits dans
d'autres régions tchadiennes dans les années à venir. Justine Spiegel et
Boureima Salouka
Source:Jeuneafrique.com