Avec sa célèbre poupée Barbie, la société Mattel a conquis la quasi-totalité de la planète, excepté l'Afrique, où elle ne propose qu'une offre très limitée. Au Nigeria, Taofick Okoya occupe avec intelligence (et succès) ce vide en commercialisant ses "Queens of Africa", poupées noires plus en accord avec l'identité et la culture des petites filles du continent.
Indétrônable figurine blonde et svelte, la poupée Barbie de la société Mattel
accompagne depuis plus de cinquante ans les petites filles de tous les
continents. Chaque minute, 152 Barbie sont vendues dans le monde. Un succès,
excepté en Afrique, où l’offre du leader mondial des jouets est très limitée.
Profitant de ce vide, en 2007, le Nigérian Taofick Okoya a lancé sa propre
marque de "baby dolls", "Queens of Africa", les reines de l'Afrique. Son
objectif ? Permettre aux petites filles de son pays de mieux accepter leur
culture africaine.
Jeune Afrique : pourquoi avez-vous décidé de créer votre
propre marque de poupées, "Queens of Africa" ?
Nigérian Taofick Okoya : Je souhaitais faire un cadeau à ma nièce et lui offrir
une poupée noire mais je n’en ai trouvé aucune dans les magasins. Il n’y avait
que des poupées blanches très onéreuses. C’est l’une des raisons pour lesquelles
j’ai voulu créer "Queens of Africa".
D'autre part, j’avais souvent été interpelé par les questions de ma fille sur sa
couleur de peau. Un jour, elle m’a demandé si elle était blanche et m'a confié
que ses personnages préférés, notamment à la télévision, étaient de couleur
blanche et qu’elles étaient plus jolies. Je voulais prouver aux petites filles
que les poupées noires sont belles, qu’elles leur ressemblent, portent les mêmes
habits et qu’elles peuvent s’identifier à ces figurines. J’avais vraiment envie
d’aider les enfants à développer et apprécier leur culture africaine.
Je voulais prouver aux petites filles que les poupées noires sont belles,
qu’elles leur ressemblent.
Avant vous, la société Mattel avait déjà commercialisé des
figurines noires pour élargir son offre de jouets. Quelle est la principale
différence entre la Barbie "black" et votre poupée ?
Selon moi, mes poupées ne sont pas simplement des figurines en plastique. Je ne
vends pas uniquement des jouets, je vends aussi des valeurs culturelles. Les
"Queens of Africa" ne sont pas nécessairement à la mode, car je souhaitais avant
tout ququ'elles soient le miroir de notre histoire. C'est pourquoi nous vendons
des poupées à l'effigie de grandes femmes africaines ainsi que des livres
racontant leur histoire.
Les bons mois, vous vendez entre 6 000 et 9 000 poupées.
Comment expliquez-vous ce succès ?
Je pense que notre succès vient du fait que les gens comprennent mieux notre
projet. Nous vendons deux modèles de poupées : les "Queens of Africa" qui sont
les héroïnes de nos livres et les "Naija princesses", des figurines davantage
grand public, au coût moins élevé, environ 1 000 nairas (près de cinq euros,
NDLR), afin que toutes les familles aient les moyens de les acheter.
Nous vendons désormais le modèle low cost "Naija princess" dans les marchés
locaux et détenons une part de marché de près de 50 %, contre environ 10 à 15 %
pour la Barbie de Mattel, qui reste bien trop chère.
Vous avez souhaité satisfaire la demande locale en
développant des modèles de poupées représentatifs des trois groupes ethniques
dominants au Nigeria. Est-ce exportable au reste de l'Afrique ?
Pour le moment, nos poupées sont Nigérianes mais ce projet s’appelle "Queens of
Africa", c’est-à-dire les reines d’Afrique. Notre objectif est de créer des
figurines qui représentent les groupes ethniques de nombreux pays du continent
africain. Mais charité bien ordonnée commence par soi-même. Nous devons donc
d'abord nous concentrer sur l'acceptation du projet au Nigeria, puis, nous
pourrons aller au-delà.
Si les vêtements de vos poupées africaines sont
confectionnés dans votre pays, la production des figurines est délocalisée en
Chine. Pourquoi ce choix ?
À l’heure actuelle, nous souhaitons proposer des poupées africaines à un prix
accessible, d’où notre choix de délocaliser la production des figurines en
Chine. Dans le cas contraire, nous ne pourrions pas proposer de tels prix, car
les coûts de production au Nigeria sont vraiment très élevés. Nous espérons
néanmoins que, dans un avenir proche, lorsque les bénéfices de la société seront
plus élevés, nous produirons entièrement les "Queens of Africa" au Nigeria. Je
souhaite qu'à terme ces poupées soient totalement africaines.
Les premiers modèles de poupées avaient la taille plus
marquée. Désormais, les figurines ont la taille fine et correspondent à des
standards de beauté occidentaux, davantage proches de la Barbie de Mattel.
Pourquoi ce changement ?
Pour le moment, notre objectif principal est de vendre ces poupées afin d'avoir
davantage d'argent pour investir dans le projet "Queens of Africa". Les enfants
sont habitués à des figurines sveltes avec une couleur de peau intermédiaire.
Les modèles avec les couleurs de peau les plus foncées ne se vendent pas encore
très bien. Nous devons donc d’abord nous faire accepter par notre cible.
Ensuite, petit à petit, nous pourrons faire les changements de modèles que nous
désirons, c’est-à-dire, plus "africains", avec davantage de formes, des lèvres
et un nez différents, moins européens... Mais nous ne voulons pas non plus
tomber dans la caricature.
Quels sont vos projets pour "Queens of Africa" ?
Envisagez-vous d’exporter ces figurines à d’autres pays africains voire au-delà
du continent ?
Nous avons des livres, des bandes dessinées et nous travaillons actuellement sur
un projet de dessin animé. Je pense que nous sommes prêts à exporter nos modèles
de poupées à d’autres pays africains mais également aux États-Unis et en Europe.
La demande est très forte et nous désirons avoir une meilleure distribution de
nos reines d'Afrique à travers le monde.
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Propos recueillis par Émeline Wuilbercq
Jeuneafrique