La plus vieille réserve naturelle d'Afrique, dans l'Est de la République démocratique du Congo, a surmonté bien des aléas mais l'avenir de ce joyau du patrimoine mondial de l'humanité apparaît sérieusement menacé par les convoitises que suscite son sous-sol.
En cause: la détermination d'une petite société britannique, SOCO International,
à mener, avec l'appui de Kinshasa, des activités d'exploration pétrolière au
sein du parc national des Virunga.
Créé en 1925 sous la colonisation belge, cette zone protégée s'étend sur près de
800.000 hectares à la frontière avec l'Ouganda et le Rwanda. L'Organisation des
Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) l'a inscrite
en 1994 sur sa liste du patrimoine mondial "en péril".
Ironie du sort, cet espace abritant une biodiversité exceptionnelle se trouve en
effet au Nord-Kivu, province déchirée par les conflits depuis plus de vingt ans.
Plus que la déforestation, le braconnage, la présence de groupes armés, de
soldats, ou de populations installées illégalement dans l'enceinte du parc, ce
sont les dommages irréparables que causerait une éventuelle exploitation
pétrolière qui inquiètent.
"Cela constituerait un risque de pollution majeur pour le site, situé non loin
des sources du Nil", a déclaré au début du mois le commissaire européen au
Développement Andris Piebalgs.
SOCO a obtenu en 2010 du gouvernement congolais un contrat de partage de
production pétrolière portant sur une concession à cheval sur une partie des
Virunga.
A la suite d'une campagne de protestation internationale, Kinshasa a suspendu en
2011 le permis d'exploration attribué à SOCO dans l'attente des résultats d'une
"évaluation environnementale stratégique" (EES).
Pour les opposants au projet, parmi lesquels le Fonds mondial pour la nature
(WWF) et plusieurs associations locales, c'est insuffisant.
Ils arguent que les contrats et permis attribués par l'Etat violent la loi
congolaise sur la conservation de la nature et la convention de l'Unesco sur la
protection du patrimoine mondial.
Ils dénoncent le fait que SOCO soit déjà à l'oeuvre depuis plusieurs mois au
sein du parc car le gouvernement a associé l'entreprise à l'EES, situation pour
eux anormale, où elle se retrouve juge et partie.
- "La malédiction du pétrole" -
"A ce stade, assure SOCO, aucun forage n'est prévu ni garanti", mais ses
adversaires s'inquiètent des tests sismiques qu'elle s'apprête à mener et
affirment qu'il s'agit ni plus ni moins d'activités d'exploration pétrolière
masquées aux conséquences graves pour l'environnement.
Kinshasa met en avant la nécessité d'exploiter le pétrole au nom du
développement économique de la RDC, un des pays les plus pauvres au monde.
Mais pour Bantu Lukambo, directeur général de l'ONG Initiative pour le
développement et la protection de l'environnement, c'est une illusion.
Basé à Goma, la capitale du Nord-Kivu, il cite comme un contre-exemple la ville
de Muanda, sur l'océan Atlantique, à l'autre bout du pays, où l'or noir est
exploité depuis une trentaine d'années, et refuse d'"accepter la malédiction du
pétrole".
Un récent rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement
note que "loin de constituer une manne pour le développement", l'exploitation du
pétrole à Muanda a plutôt entraîné "pollution" et dégradation de
l'environnement.
Pour Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale du cercle de
réflexion International Crisis Group, "la confirmation des réserves de pétrole
dans l'Est exacerberait la dynamique de conflits à l'oeuvre" au Kivu.
Désavouée par le gouvernement britannique, SOCO refuse de s'aligner sur le
groupe pétrolier français Total, qui, bien qu'ayant signé avec Kinshasa un
accord similaire au sien, s'est engagé à ne pas entrer dans le périmètre du
parc.
L'entreprise se justifie en faisant valoir que son intérêt est très limité
géographiquement, que son bloc n'englobe pas la zone d'habitat du gorille des
montagnes, espèce menacée, et qu'elle "ne cherchera jamais" à développer des
activités dans ce secteur.
Peu importe, répond l'Unesco, exploration et exploitation pétrolières ne sont
"pas compatibles" avec les statuts du patrimoine mondial et le parc risque donc
d'être déclassé en partie, ce que ses défenseurs veulent à tout prix éviter.
Pour contrer les projets de SOCO, le WWF fait campagne pour convaincre que la
RDC a beaucoup plus à gagner sur le plan économique en protégeant le parc et en
y développant le tourisme, une pêche et des projets hydroélectriques durables
plutôt que de chercher à y extraire du pétrole dont la présence n'a encore rien
d'avéré.
SlateAfrique