6 avril 1994-6 avril 2014 : alors que la communauté internationale peine encore à examiner ses propres responsabilités dans le génocide des Tutsis, les Rwandais s'efforcent de transcender les passions meurtrières pour bâtir une nouvelle nation. Avec comme unique mot d'ordre : plus jamais ça.
Génocide. Néologisme forgé il y a soixante-dix ans sur les cendres de la Shoah
par Raphaël Lemkin, juriste polonais réfugié aux États-Unis, à partir de deux
mots : le grec genos (genre, espèce) et le latin caedere (tuer, massacrer). Être
tué pour ce que l'on est du fait de sa naissance, dans le cadre d'un plan
concerté d'extermination. Si la solution finale fut arménienne, juive, herero,
assyrienne, elle fut aussi rwandaise.
Vingt ans après, le dernier des génocides de l'Histoire contemporaine continue
de hanter le pays des Mille Collines et des mille fosses communes. Comment en
serait-il autrement ? Le massacre des Tutsis du Rwanda fut le plus rapide et le
plus dense de tous les génocides : un million de morts en cent jours, soit dix
mille par jour, sept par minute. Le seul, aussi, à être populaire puisque 60 %
de la population rwandaise de 1994, manipulée par une machine politique
extrémiste, y a participé. Le seul, enfin, à être consanguin puisqu'il déchira
deux communautés, hutue et tutsie, en réalité deux catégories sociales que la
colonisation avait érigées en ethnies rivales, mais qui partagent la même
langue, la même culture et les mêmes patronymes.
Vingt ans après, l'heure est venue des retrouvailles du peuple rwandais. En
aucun cas elles ne sauraient se fonder sur l'oubli ou le pardon des
organisateurs et des concepteurs du projet raciste d'extermination qui mena au
génocide. Mais le dépassement des passions du passé est une obligation si le
Rwanda veut se reconstruire. Cette renaissance, évidente pour tous ceux qui
connaissent ce pays, se fait certes au forceps, de façon autoritaire, et sans
doute faudra-t-il évoluer, ou plutôt laisser évoluer les dirigeants de Kigali,
lesquels répètent à qui veut l'entendre que ceux-là mêmes qui se refusèrent à
intervenir pour faire cesser le génocide n'ont aucun droit de s'ingérer dans
leur gouvernance, encore moins de les juger.L'heure est venue aussi pour les
puissances politiques ou morales d'examiner enfin leurs propres responsabilités
dans les causes et le déroulement du génocide rwandais. Le Vatican, bien sûr,
dont on attend toujours le mea culpa, la Belgique, les États-Unis, l'ONU, mais
surtout la France. Si la justice de l'Hexagone commence à peine à jouer son
rôle, il reste à ceux qui étaient aux affaires à l'époque, entre 1990 et 1994, à
regarder en face cette page d'Histoire, si tragique fut-elle. Ce vingtième
anniversaire leur en donnera-t-il l'occasion ? Quand on sait que ce travail
d'autocritique mémorielle reste encore à faire, en France, pour la période
coloniale et les guerres de décolonisation, on peut hélas en douter...
Jeuneafrique