Militairement, l’Afrique est en train de devenir un continent étasunien. Barack Obama, qui a été le président de tous sauf la première année d’existence de l’AFRICOM, a réussi à intégrer des unités de combat étasuniennes, des bases, à renforcer certains régimes, à équiper et financer les structures militaires de tous les pays africains hormis pour une poignée de pays résistants. Le grand rêve panafricaniste et ancien du président ghanéen Kwame Nkrumah d’une Afrique unie militairement n’a pas été réalisé – face aux appétits des Etatsuniens et des Européens. Sous couvert d’une intervention «humanitaire», Obama a considérablement élargi les projets d’expansion de Bill Clinton et de George Bush en Afrique, de sorte que seulement quelques taches sur la carte de l’Afrique restent en dehors de la sphère des opérations de Washington. L’Érythrée et le Zimbabwe sont les exceptions notables – et, par conséquent, les cibles futures.
L’Afrique est un territoire occupé. L’Union africaine ne prétend même pas être
responsable de ses propres missions de maintien de la paix, qui sont devenues en
fait des opportunités pour les forces armées africaines de se faire payer pour
faire le job de l’Occident. La Chine et le Brésil peuvent recueillir la part
substantielle du commerce avec l’Afrique, mais les hommes disposant des armes à
feu sont fidèles à l’AFRICOM – le papa gâteau pour la classe militaire
africaine. Les troupes étatsuniennes dorment maintenant dans les casernes
africaines. Elles sont les frères d’armes des officiers africains et peuvent
déterminer les futurs présidents africains.
Le rythme de la pénétration étatsunienne de l’Afrique de l’Ouest s’est accéléré
de façon spectaculaire depuis 2011, quand Obama (Sarkozy et Cameron, ndt) a
liquidé le gouvernement libyen de Mouammar Kadhafi, installant un flux de
jihadistes et d’armes vers la Syrie et vers le Sud pour déstabiliser les nations
du Sahel. Un chaos s’en est suivi – un beau chaos diriez-vous si vous étiez un
planificateur militaire des États-Unis à la recherche d’une justification pour
des missions de plus en plus importantes. L’agression de l’OTAN contre la Libye
a engendré le chaos dans la sous-région subsaharienne qui a justifié
l’occupation française et étatsunienne du Mali et du Niger. Les djihadistes
d’Afrique du Nord hyperactifs, renforcés par les bombes étatsuniennes (cf. ce
qui s’est passé en Libye, ndt), des armes et de l’argent, forment et équipent
leurs frères du continent, y compris les éléments de Boko Haram au Nigeria. Les
guerriers islamiques de langue yoruba ont légué à l’AFRICOM un cadeau
inestimable : près de 300 écolières nécessitant d’être délivrées, prétexte
parfait pour une intervention «humanitaire».
Il n’y a pas eu besoin de demander à deux reprises à Obama de “faire quelque
chose !“.
Les chefs d’Etat du Nigeria, du Tchad, du Niger, du Bénin et du Cameroun ont été
convoqués à Paris (prétendant que c’était leur idée) où ils ont déclaré la
“guerre totale ” à Boko Haram, tandis que les «observateurs» des États-Unis, de
la France, de la Grande-Bretagne et de l’Union européenne (intervenants dans les
affaires internes de l’Afrique depuis des années) regardaient. Le président
français François Hollande a déclaré ”qu’un plan d’action mondial et régional”
sortirait de la conférence .
“Les chefs d’Etat du Nigeria, du Tchad, du Niger, du Bénin et du Cameroun ont
été convoqués à Paris où ils ont déclaré la « guerre totale » à Boko Haram.”
Bien sûr, les cinq Etats africains n’ont ni l’argent, ni la formation, ni
l’équipement, ni la capacité de collecte de renseignements pour un tel plan. Ce
sera un plan euro-étatsunien pour la défense et la sécurité de l’Afrique de
l’Ouest – contre d’autres Africains. Immédiatement, les États-Unis ont envoyé 80
soldats au Tchad (pays qui sur le plan militaire a longtemps été un état
mercenaire au service de la France) pour ouvrir une nouvelle base de drones,
afin de renforcer le parc de drones étatsuniens existants déjà au Niger, au
Burkina Faso, en Ethiopie, en Somalie, aux Seychelles, à Djibouti (où il existe
une énorme base française et étatsunienne), et les sites de la CIA qui ne
doivent pas être divulgués.
Le nouveau groupe de sécurité en Afrique de l’Ouest est devenue une réplique de
l’OTAN, une annexe visant à être façonnée par les planificateurs militaires
impérialistes pour affronter les ennemis choisis par Washington et Paris.
Quel formidable élan humanitaro-militaire ! Les filles sont absentes depuis un
mois, et pourraient ne pas être secourues vivantes, mais cinq pays africains
voisins – l’un d’eux étant la plus grande économie du continent – ont déjà été
embrigadés dans une alliance militaire dominée par l’OTAN avec d’autres Etats
africains subordonnés.
Il est vite apparu que l’AFRICOM avait déjà une relation spéciale avec l’armée
nigériane qui n’a été annoncée qu’après l’enlèvement des écolières. AFRICOM va
former un bataillon de Rangers du Nigeria dans la contre-insurrection guerrière,
ce sera la première fois que ce commandement étatsunien fournira une formation «
intégrale » aux Africains à une telle échelle.
Avec le public étatsunien embrigadé dans l’esprit interventionniste de
l’opération “Save our girls”, les opérations secrètes sont soudainement devenues
publiques. Le New York Times révèle que les Etats-Unis ont organisé un programme
secret pour former des bataillons de lutte contre le terrorisme pour le Niger et
la Mauritanie. Les forces spéciales des Bérets verts et les tueurs de la Delta
Force instruisent des commandos triés sur le volet dans la contre-insurrection
au Mali. Une source du Times, laisse clairement entendre que les opérations
secrètes sont conçues pour recouvrir la région d’escadrons de la mort formés par
les Etats-Unis. Michael Sheehan était jusqu’à l’année dernière en charge des
opérations spéciales au Pentagone - Death Squads Central (Centrale des escadrons
de la mort) – où il a poussé à plus de formateurs pour des Opérations Spéciales
pour les armées africaines. Sheehan détient désormais la “présidence
prestigieuse” de la West Point’s Combating Terrorism Center (du Centre de West
Point de Lutte contre le Terrorisme). Dans les années 1980, il était le
commandant des forces spéciales de l’Amérique latine – ce qui signifiait en
langage à peine codé : escadrons de la mort.
“L’AFRICOM formera un bataillon de Rangers du Nigeria dans la guerre de
contre-insurrection.”
Les Forces spéciales de l’armée des États-Unis ont toujours été des tueurs
politiques, fonctionnant le plus souvent avec la CIA. Le Phoenix Program, au
Vietnam, qui a tué entre 26 000 et 41 000 personnes et torturé beaucoup
d’autres, était un crime de guerre de la CIA allié aux forces spéciales. De 1975
jusque dans les années 80, la CIA et ses forces spéciales ont apporté un soutien
technique et des armes à des tueurs pour l’Opération Condor, les escadrons de la
mort dirigés par un consortium de juntes militaires en Argentine, au Chili, en
Uruguay, au Paraguay, en Bolivie et au Brésil, probablement responsable de 60
000 meurtres. Sheehan a probablement été impliqué dans l’Operation Condor et sa
composante d’Amérique centrale, l’Opération Charly, et depuis a perfectionné
l’art des assassinats politiques. S’il est chanceux et se sent justifié par les
événements en Afrique, alors les escadrons de la mort formés par les Etats-Unis
sont sur le point de proliférer dans cette partie du monde.
Il n’y a pas de doute qu’Obama apprécie les Opérations Spéciales, car ces
opérations de petites unités de meurtriers dirigés par des tueurs professionnels
intervenant de nuit ne s’apparentent par à une guerre – et peuvent, si
nécessaire, être imputées à d’autres “terroristes”. Cependant, l’histoire –
l’histoire récente – prouve que les États-Unis peuvent parvenir à leurs fins
avec des carnages de grande ampleur (et sans limites) en Afrique. En 2006,
l’invasion de l’Ethiopie par la Somalie, soutenue par les forces étatsuniennes
au sol, dans les airs et par la mer, a donné lieu à l’époque à “la pire crise
humanitaire en Afrique”, “pire que le Darfour”, selon les observateurs de l’ONU,
avec des centaines de milliers de morts. Les États-Unis ont alors refusé l’aide
alimentaire pour affamer les combattants somaliens Shabaab, conduisant à une
perte encore plus catastrophique de vies humaines. Mais, la plupart des
Etatsuniens ne sont pas conscients de ces crimes contre l’humanité à l’encontre
des Africains (“crimes again Black Humanity”).
Les alliés éthiopiens des Etats-Unis ont commis un génocide contre l’ethnie
Somali dans la région de l’Ogaden en toute impunité et ont interdit aux médias
internationaux l’accès de la région. Les Présidents Clinton, Bush et Obama –
chacun d’entre eux aidés par Susan Rice – ont collectivement tué six millions de
Congolais depuis 1996. Le plus grand génocide depuis la Seconde Guerre mondiale
a été le résultat prémédité du chaos délibérément imposé par les Etats-Unis au
Congo (RDC, ndt) riche en minéraux et par ses sbires du Rwanda et de l’Ouganda
voisin. Paul Kagame, l’actuel leader du Rwanda, a abattu un avion avec deux
présidents à bord en 1994, déclenchant les massacres qui ont amené Kagame au
pouvoir et envoyé par la suite le Congo voisin sur la route de l’enfer. Les
Etats-Unis célèbrent Kagame comme un héros, bien que le dictateur tribal Tutsi
envoie des escadrons de la mort partout dans le monde pour étouffer ceux qui
s’opposent à lui.
“Les États-Unis peuvent parvenir à leur fin avec des carnages de grande ampleur
(illimités) en Afrique.”
Le Président ougandais Yoweri Museveni, un ami des États-Unis depuis l’époque de
Ronald Reagan, a commis des actes de génocide contre ses rivaux de la tribu
Acholi, les jetant dans des camps de concentration. Joseph Kony a été l’un de
ces Acholi, qui apparemment est devenu fou. Depuis des années, Kony n’est plus
une menace pour l’Ouganda ou pour tout autre pays de la région, mais le
président Obama a utilisé une prétendue observation d’une hypothétique présence
de bribes de son Armée de Résistance du Seigneur en RDC pour envoyer 100 Bérets
verts en République démocratique du Congo, en Ouganda, au Rwanda, en République
centrafricaine et au Soudan du Sud. Le mois dernier, Obama a envoyé 150 soldats
et plus de quatre avions pour l’Afrique centrale, affirmant à nouveau que Kony
se cachait quelque part.
En fait, les troupes étatsuniennes ont été déployées près du sud Soudan, que les
États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël ont déstabilisé depuis des décennies
dans le but de diviser la nation du Soudan. Le Soudan du Sud est devenu
indépendant, mais il est resté instable et est loin d’être une nation, il s’agit
plutôt d’un endroit riche en pétrole convoité par les États-Unis. Des dizaines
de milliers d’autres personnes sont certains de mourir en combattant dans le
Soudan du Sud, mais peu d’Etatsuniens blâmeront leur propre pays.
Comme le montre le carnage au Congo, des populations entières peuvent être
rayées de la carte en Afrique sans que la plupart des gens en Occident s’en
aperçoivent. Les escadrons de la mort entraînés par les Etats-Unis au Nigeria,
au Niger, en Mauritanie et au Mali, et ceux qui traqueront bientôt les victimes
au Cameroun et au Bénin, ne se limiteront pas à la chasse à Boko Haram. Les
escadrons de la mort sont, par définition, déstabilisant ; ils empoisonnent
l’environnement politique et social au-delà de toute limite, comme l’Amérique
centrale des années 80 peut en témoigner.
Pourtant, c’est la méthode de conquête préférée de l’impérialisme étatsunien
dans le monde non-blanc. C’est ce que les Etatsuniens font réellement, quand les
gens demandent à ce qu’ils “fassent quelque chose”.
Glen Ford
Article original:Coming Soon: A U.S. Death Squad Program for West Africa
Traduction: Le blog de SLT