Où l'on apprend que Paris a cessé d'être le donneur d'ordres et qu'il ne le sait pas encore.
Après Comment la France a perdu l’Afrique, Sarko en Afrique, écrits avec Stephen
Smith, et Ces Messieurs Afrique: Des réseaux aux lobbies, Antoine Glaser revient
une nouvelle fois sur les relations entre la France et son pré carré dans son
nouvel opus: AfricaFrance (...).
Dans AfricaFrance, l’ancien directeur de La Lettre du continent, souhaite
déconstruire «l’histoire communément admise» d’un continent soumis à la France.
Selon lui c’est «un leurre qui arrange autant Paris que les capitales africaines
(…) loin d’être des pantins et des béni-oui-oui, les présidents africains ont su
manœuvrer et instrumentaliser leurs “maîtres” à Paris».
Il va même plus loin, ça n’est pas qu’un simple retournement mais une situation
qui préexistait déjà sous le général de Gaulle. L’objectif d’Antoine Glaser est
donc de mettre la lumière sur ces manipulations qui ne proviendraient pas
toujours de ceux qu’on croit:
«Les dirigeants africains jonglent ainsi avec les non-dits pour que leurs
interlocuteurs gaulois se sentent toujours responsables de leur avenir (…) [ils]
se trouvent plus souvent qu’on ne le croit dans une position dominante vis-à-vis
du pouvoir français (…) il considèrent [la France] avec la condescendance du
“qui paie commande”.»
De l’influence essentielle de Jacques Foccart et de Félix Houphouët-Boigny, « le
patron de la Françafrique », au financement des partis politiques, en passant
par les réseaux d’influence parisiens (communicants, hommes d’affaires et
politiques) activés par les présidents africains «pour asseoir leur pouvoir en
Afrique» ou encore le rôle de la franc-maçonnerie, des réseaux de «l’or noir» au
Congo et ceux de l’or jaune au Niger, Antoine Glaser décrypte en dix chapitres
le passage de la Françafrique à l’AfricaFrance.
Chaque chapitre est consacré à l’une des anciennes colonies françaises. L’auteur
revient ainsi sur l’arrivée au pouvoir de l’ivoirien Alassane Ouattara et son
soutien à l’opération française au Mali, les relations parfois difficiles entre
François Hollande et Idriss Déby, le président tchadien, les initiatives du
président burkinabè qui relèvent «plus souvent qu’on ne le pense de sa propre
initiative» et ne sont pas «téléguidées par Paris».
En effet, pour Antoine Glaser «Blaise Compaoré sait que la France a plus besoin
de lui qu’il n’a besoin de la France. En termes d’aide financières, il compte
bien plus sur Taïwan que sur l’Hexagone». Antoine Glaser analyse aussi la
politique du gabonais Ali Bongo plus tournée vers les Etats-Unis que celle de
son père. On peut regretter que Djibouti ne soit que rapidement mentionné en
conclusion alors même que ce petit Etat de la Corne de l’Afrique illustrerait
parfaitement la thèse de l’auteur.
Les initiés apprécieront les nombreuses anecdotes et les coulisses des relations
entre les présidents africains et le pouvoir français dans la période récente
(et jusqu’à fin 2013). L’ouvrage est agrémenté d’entretiens des acteurs de ces
relations, comme Anne Lauvergeon, Patricia Balme, André Bailleul, Jean-Marc
Simon, Michel Roussin, Michel Katz, Georges Serre, Michel de Bonnecorse,
Jean-Christophe Rufin, Pierre-André Wiltzer, Robert Bourgi, etc.
Ainsi, malgré les promesses rééditées de ruptures, tant François Hollande que
son prédécesseur auraient été «marabouté[s] par l’Afrique et ses dirigeants». Le
président français serait parfois «l’obligé» de certains présidents africains
car «celui qui paie commande». Antoine Glaser conclut sur les perspectives
économiques et les richesses du continent africain qui attirent déjà de nombreux
Etats. Il finit par asséner:
«Paris n’est plus le donneur d’ordres, mais il ne le sait pas encore. Il se
croit encore aimé alors qu’il n’intéresse plus. L’Afrique a changé sans que son
“papa” autoproclamé en soit informé.» Or comme l’aimait à le rappeler l’ancien
président gabonais Omar Bongo: «La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans
carburant.»
Sonia Le Gouriellec