Le nombre de ses locuteurs dans le monde
ne cesse de croître. Il pourrait même exploser dans les prochaines décennies.
Une évolution qui repose presque exclusivement sur le dynamisme de l'Afrique
subsaharienne.
"Un milliard de francophones en 2060", "Le français, première langue mondiale en
2050"... Depuis quelques mois, de multiples études plus ou moins sérieuses
prédisent un avenir radieux à la langue française. Au point que le futur
gigantesque "marché francophone" qui se profile à l'horizon retient désormais
l'attention des entrepreneurs - en particulier celle des groupes de médias des
pays du Nord - et qu'il est devenu un thème central dans la campagne pour le
poste de secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie.
Sans verser dans cet excès d'enthousiasme, le dernier rapport de l'OIF ("La
Langue française dans le monde 2014", ouvrage coordonné par Alexandre Wolff, éd.
Nathan, 578 pages), publié le 5 novembre, confirme ce dynamisme : il recense
274 millions de francophones dans le monde - c'est-à-dire des personnes capables
de s'exprimer en français, sans nécessairement savoir le lire ou l'écrire -,
soit une augmentation de 7 % par rapport au précédent rapport, daté de 2010. Le
français est donc la cinquième langue la plus utilisée sur la planète.
Surtout, l'OIF estime que ses locuteurs
pourraient être 767 millions d'ici à 2060, ce qui en ferait la deuxième ou
troisième langue la plus parlée, devant l'arabe ou l'espagnol. La clé de ce
dynamisme tient à la vigoureuse démographie de l'Afrique subsaharienne, où le
français est particulièrement bien implanté.
Ainsi, entre 2015 et 2065, la population de "l'espace linguistique francophone"
devrait croître de 143 %, contre "seulement" 77 % pour l'arabe et 62 % pour
l'anglais. D'ores et déjà, le français doit à l'Afrique subsaharienne la majeure
partie de sa croissance : le nombre de locuteurs y a progressé de 15 % en quatre
ans, alors qu'il augmente de manière beaucoup moins marquée en Europe et baisse
légèrement au Maghreb.
Mais ces projections optimistes reposent sur l'hypothèse que le français
continuera de progresser au même rythme dans cette région. Car les 29 pays
d'Afrique subsaharienne membres de plein droit de l'OIF ne sont que
partiellement et inégalement francophones. Ainsi, si 61 % des Gabonais sont
capables de s'exprimer en français, ce n'est le cas que de 6 % des Rwandais.
Or le développement du français en
Afrique subsaharienne n'a rien d'automatique : il dépend des choix des
gouvernements et des progrès de la scolarisation. L'évolution en Côte d'Ivoire
et au Mali est d'ailleurs révélatrice : la proportion des francophones y recule
légèrement, même si cette baisse a été compensée par la croissance
démographique. Selon les auteurs du rapport, cette régression serait due aux
crises politiques traversées par les deux pays et aux perturbations qu'elles ont
provoquées dans l'enseignement.
Le 5 novembre, l'administrateur de l'OIF, le Québécois Clément Duhaime, s'est
donc livré à un plaidoyer pour le renforcement des "infrastructures scolaires"
dans les pays francophones, y compris dans les formations techniques et
qualifiantes. L'OIF paraît particulièrement bien placée pour y contribuer. Mais
avec un budget qui stagne, voire recule (il était de 85 millions d'euros par an,
entre 2010 et 2013), il lui sera impossible de le faire seule. Si les États ne
prennent pas le relais, ce "miracle francophone" pourrait bien se transformer en
mirage.
Pierre Boisselet