Extatique, whisky à portée de main, Sirafily a craché sa rage sur le papier, contre le régime du président déchu, Amadou Toumani Touré, contre un "système ATT" qu'il résume ainsi : "Celui qui mange ne parle pas."
Sirafily Diango dans une salle de classe au Mali.
La pièce retrace par l'absurde la fin du
règne d'un président "assis sur ses fesses molles, continuant de dire "tout va
bien" quand Ménaka était déjà aux mains des rebelles". Lorsque ATT est
finalement renversé par le général Sanogo, Sirafily exulte : "Durant plusieurs
mois, je n'ai pas voulu accepter la réalité, explique-t-il. Dans ma grande
naïveté, je voulais voir en Sanogo un libérateur, un Sankara, un Nkrumah... Mais
c'est un monstre. C'est Ubu roi !
Sirafly envoyé au bagne
Il pleut sur le Nord est le premier opus d'une trilogie (avant Il pleut sur le
Sud et Il neige sur Kidal). Entre deux cours, Sirafily travaille sur sa deuxième
pièce, celle qui parlera des désillusions qui s'accumulent. Car l'auteur n'en
est pas à sa première : du temps de la dictature et des luttes clandestines,
Alpha Oumar Konaré était son professeur, un mentor, jusqu'à ce qu'il rejoigne le
gouvernement de Moussa Traoré. En 1978, au Mali, la "transhumance politique" a
pour Sirafily un goût amer.
L'année suivante est marquée par les révoltes étudiantes. C'est "l'année Cabral"
- surnom du leader charismatique de l'Union nationale des élèves et étudiants du
Mali (Eneem). Dans ce vivier de militants, Sirafily est son compagnon de lutte.
"Je tractais, j'écrivais... On voulait prendre tous les symboles de l'État, tout
casser." Bamako, divisé par le fleuve Niger, est en flammes. Avec d'autres
camarades, Sirafily est envoyé au bagne, à Kidal. Quelques mois plus tard,
Cabral est assassiné. Sirafily termine ses études en lettres modernes.
S'ensuivent les années de galères, "douze métiers, treize malheurs" : vendeur de
charbon, de bois... Sirafily prend la tangente.
Le Burkina Faso, encore animé par le fantôme de Thomas Sankara, est trop
tentant. Il s'y installe en 1988 et enseigne dans l'une des "écoles
démocratiques populaires" créées par le leader assassiné. "Ça a été ma
contribution à la révolution. Blaise Compaoré était au pouvoir, mais il n'osait
pas encore balayer l'oeuvre de Sankara..." Sirafily se nourrit du patriotisme
burkinabè, comme il s'est nourri des livres prêtés par ses enseignants
militaires russes, au lycée. "On n'avait pas de photocopieuse, alors je
recopiais tous les livres que j'aimais. Le "Lénine abrégé", l'oeuvre de
Pouchkine... C'est peut-être comme ça que l'écriture m'est venue."
Pour la première fois de sa vie, en juillet 2013, il a voté. Pour IBK, suivant
les consignes de son ancien compagnon de lutte, Oumar Mariko, président du parti
Sadi. Mais de ce mandat, il n'espère aucun changement. Les dirigeants maliens,
pour lui, c'est "bonnet blanc et blanc bonnet". Lassé des "révolutions de
salon", délivré de ses illusions, Sirafily veut continuer à torpiller "ses"
traîtres : Ouattara, Compaoré, Sanogo... La liste est longue et le combat sans
fin. Pour se justifier, il cite Marcel Proust : "J'écris parce que je suis un
nerveux."