Bancariser les PME, réduire les coûts, dénicher des talents... Les défis pour maintenir la croissance du secteur bancaire africain sont nombreux. En exclusivité, "Jeune Afrique" livre les conclusions de l'enquête du cabinet de conseil Roland Berger.
Les grands établissements africains sondés
par Roland Berger
s'attendent à une baisse de rentabilité de 20 %.
Plus de 493 millions de dollars (391 millions d'euros) investis par le
sud-africain Nedbank dans le groupe Ecobank, 147 millions injectés par
l'américain Carlyle dans Diamond Bank... Ces dernières semaines, l'actualité a
confirmé le vif intérêt que les banques africaines suscitent. L'équation reste
simple : avec en moyenne un total d'actifs représentant 0,7 % du PIB, les
banques du continent sont encore loin du niveau atteint par leurs consoeurs aux
États-Unis (1 %), aux Émirats arabes unis (2,4 %) ou en Chine (3,6 %). Et les
revenus du secteur devraient doubler dans les cinq prochaines années, générant
15 milliards à 20 milliards de dollars de produit net bancaire supplémentaire.
Moins rentables
Ces chiffres sont issus d'une étude approfondie du cabinet de conseil en
stratégie Roland Berger. Mais selon ce document, que Jeune Afrique dévoile en
exclusivité, maintenir cette croissance soutenue ne sera pas chose aisée et
engendre d'ores et déjà de nombreux défis.
Premier constat : aujourd'hui ultrarentables, les banques africaines devraient
l'être de moins en moins. Interrogés par Roland Berger, 32 dirigeants de grandes
institutions financières africaines s'attendent à une baisse de 20 % de leur
rentabilité au cours des trois prochaines années. En moyenne, celle-ci devrait
passer de 17 % du capital en 2013 à 12 % sur 2015-2017 en Afrique du Nord et de
21 % à 19 % en Afrique de l'Ouest. En Afrique de l'Est, qui connaît depuis
quelques années une rentabilité exceptionnelle, la profession s'attend à une
diminution plus nette encore, de 31 % à 18 %.
"Les nouvelles catégories de clients au coeur du défi de la croissance future (à
la fois la clientèle de détail - la classe moyenne et le marché de masse - et
celle des PME) seront plus coûteuses et difficiles à conquérir et à servir,
expliquent les équipes de Roland Berger à l'origine de l'étude, dont Hakim El
Karoui, associé chargé des services financiers, et Fabrice Asvazadourian,
associé senior. Les profits sont donc menacés et façonner le futur modèle de la
banque africaine nécessitera à la fois des initiatives stratégiques et
opérationnelles de la part de ses dirigeants, mais aussi le parrainage des
organismes de réglementation et des autorités, afin de renforcer
l'infrastructure des services financiers et l'environnement réglementaire."
Expertise
Roland Berger a identifié six défis fondamentaux. Trois relèvent de la conquête
client : doper la collecte des dépôts - vus comme le principal moyen de
financement - en se tournant vers la classe moyenne ; développer la
bancarisation des PME ; et accroître l'expertise dans la banque de gros, où les
établissements africains semblent encore largement absents, captant moins de 20
% des 6 milliards à 8 milliards de dollars générés chaque année dans ce domaine
en Afrique.
Pour conquérir une clientèle plus grand public, les banquiers envisagent de
privilégier les partenariats avec les opérateurs de télécoms, de pousser les
canaux numériques et, dans une moindre mesure, de doper leurs forces de vente
détachées sur le terrain. Étonnamment, les solutions légères telles que l'agency
banking au Kenya ou les agences mobiles se rendant dans les zones reculées, à la
rencontre des populations rurales (comme l'a fait Coris Bank au Burkina et au
Mali), ne sont envisagées que par 28 % des sondés. "C'est pourtant un levier de
développement à prendre au sérieux", explique Georges Ferré, consultant chez
Roland Berger. Celui-ci estime que des solutions telles que Souk Bank, l'agence
itinérante créée au Maroc par Banque populaire, ont de l'avenir.
Données fiables
Du côté des PME, autre segment porteur, le principal défi est le contrôle du
risque. La plupart des banquiers actifs dans ce créneau insistent sur
l'importance de bien connaître les dirigeants d'entreprises avec lesquels ils
travaillent. Leur objectif est désormais d'industrialiser davantage cette
relation : "Il est difficile de trouver des données financières fiables dans
nombre de pays africains, reconnaît Georges Ferré. La banque doit donc avoir des
spécialistes des grands secteurs économiques capables de transformer leur
expérience de terrain en risque crédit. Ensuite, les banques africaines doivent
développer les techniques de recouvrement. Elles sont souvent mal outillées pour
gérer l'évolution des créances."
Pour relever les trois autres grands défis qui les attendent, les banquiers
devront faire évoluer leur modèle opérationnel : doper l'efficience alors que la
conquête de nouveaux segments de clientèle fera bondir les coûts, développer
enfin de réelles synergies en matière d'expansion et recruter des talents.
Alors que Roland Berger estime que le nombre de managers au plus haut niveau et
de dirigeants intermédiaires devra être doublé d'ici cinq à sept ans, 59 % des
banquiers affirment qu'il est difficile de trouver les bons candidats.
Concernant les stratégies d'expansion géographique, Roland Berger montre
qu'elles se font aujourd'hui au détriment des marges bénéficiaires.
"L'enjeu est simple, insiste Georges Ferré. Beaucoup de groupes bancaires sont
en réalité des groupes de banques. Puisque la croissance géographique est
souvent inévitable en raison de la taille des marchés, il faut passer à un
système réellement intégré", préconise le consultant.