Le Ghana célèbre ce vendredi, le 58e anniversaire de son accession à l’indépendance. Nous vous proposons à cette occasion un article publié par Jeune Afrique le 6 mars 2005.
Kwame Nkrumah, artisan de l'indépendance avec
la reine d'Angleterre à Accra (Ghana) en 1961.
"Le Ghana, votre pays adoré, est libre à jamais. Il faut prendre conscience que
nous ne sommes dorénavant plus un peuple colonisé". Alors qu'il prononce ces
mots devant les Ghanéens en liesse, Kwame Nkrumah, nouveau Premier ministre de
son pays, ressentit une joie "presque intolérable". Car, quelques minutes
auparavant, à minuit, dans la nuit du 6 au 7 mars 1957, la Gold Coast
(Côte-de-l'Or) est devenue le premier pays d'Afrique subsaharienne à
s'affranchir du joug colonial. En devenant le Ghana, elle accède, dans le calme
et la paix, au statut de membre indépendant au sein du Commonwealth.
C'est cinq mois plus tôt que s'est joué l'événement qui allait bouleverser toute
l'Afrique. Le 17 septembre 1956, Kwame Nkrumah est convoqué par le gouverneur
général, sir Charles Arden-Clarke, qui, dès son arrivée, lui tend un télégramme
reçu de Londres et annonçant la date de l'indépendance. "Quand j'arrivai au
cinquième paragraphe, des larmes de joie que j'avais du mal à cacher
m'empêchèrent de lire le reste du document". Le lendemain, jour de son 47e
anniversaire, il se rend à l'Assemblée nationale et annonce aux représentants
réunis que le gouvernement britannique est en train de soumettre à l'approbation
des lords son intention d'accorder l'indépendance à la Côte-de-l'Or. Stupeur.
Silence dans les rangs. Avant que n'explosent les cris et manifestations de joie
de ceux qui allaient bientôt devenir le corps législatif du Ghana.
C'est le résultat d'une longue bataille avec la puissance coloniale. Considérant
qu'il fallait laisser le choix au peuple de la Côte-de-l'Or lui-même de savoir
s'il voulait, ou non, devenir indépendant, le secrétaire d'État aux Colonies,
Lennox-Boyd, avait organisé des élections générales le 7 juillet 1956. La
victoire du Convention's People Party (CPP) de Nkrumah avait fini de persuader
l'Angleterre que la seule manière de résoudre les différends avec la colonie
était de lui accorder l'indépendance au sein du Commonwealth. Sept mois plus
tard, le 7 février 1957, le Ghana Independent Act (loi de l'indépendance) était
approuvé par la Couronne et, le 22, la reine signait un ordre du conseil
établissant la première Constitution du Ghana.
Le 5 mars, Kwame Nkrumah tremble d'impatience. Les célébrations sont prévues de
longue date et doivent durer deux jours. À 23 heures, Nkrumah donne son dernier
discours en tant que chef d'un État sous tutelle. Juste avant minuit, dans un
discours devant les députés, le Premier ministre Kwame Nkrumah avait assuré que
l'association avec le Commonwealth était fondée sur "une égalité absolue et
l'amitié". "Le Commonwealth peut, je pense, devenir un schéma pilote pour
développer les méthodes les plus efficaces afin de mettre fin au colonialisme
sans révolution ni violence". Une heure plus tard, le chantre du panafricanisme
deviendra Premier ministre et "le Ghana aura retrouvé sa liberté perdue",
annonce-t-il. Les douze coups sonnés, les couleurs de l'Union Jack sont
baissées, et on hisse à la place un drapeau rouge, jaune et vert, au centre
duquel resplendit l'étoile noire.
Le lendemain matin, les cérémonies officielles débutent à 9 h 30. Habib
Bourguiba est là. Martin Luther King aussi, qui avouera plus tard avoir pleuré
de joie aux paroles de Nkrumah ; Harold Macmillan, le Premier ministre
britannique, évidemment. Mais le vice-président américain, Richard Nixon, qui
mène une nombreuse délégation d'Africains-Américains, a également fait le
déplacement. Ainsi que des représentants du Canada, d'Australie, d'Inde, du
Pakistan, de Chine, et les gouverneurs de nombreux pays africains sous
domination anglaise ou française.
Sir Charles Arden-Clarke, le dernier gouverneur de la Côte de l'Or, est nommé
gouverneur général du Ghana. Suit le discours de la duchesse de Kent, venue
délivrer le message de la reine d'Angleterre. "Les espoirs d'un grand nombre,
surtout en Afrique, reposent sur vos épaules. Je crois profondément que mon
peuple du Ghana avancera vers la liberté et la justice", déclare-t-elle, avant
de donner la parole au héros du Ghana et, ce jour-là, de toute l'Afrique. Le
discours de Nkrumah fera date, et ceux qui y assistèrent se souviennent encore
de la majesté et de l'intelligence des mots.
Mais personne ne prête attention à son intention d'assumer, en plus des
fonctions de Premier ministre, celles de la Défense et des Affaires étrangères.
La joie est bien trop grande et le jour symbolique pour qu'on se doute alors de
ce qui allait se passer... D'autant que Nkrumah répète qu'il n'est nullement
question de mettre en place une république et qu'il souhaite rester au sein du
Commonwealth. La reine demeure chef de l'État, le Ghana devenant un dominion du
Commonwealth.