Afrique


Ennahda en France: le vote qui dérange


Comment se fait-il que la communauté tunisienne de France ait voté dans sa grande majorité pour le parti islamiste Ennahda?

Mise à jour du 15 novembre: La France a félicité le parti islamiste Ennahda pour sa victoire en Tunisie, à la suite de la publication des résultats officiels définitifs des élections du 23 octobre, a déclaré aujourd’hui le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Bernard Valero Mise à jour du 14 novembre: les résultats officiels définitifs des premières élections libres du 23 octobre en Tunisie ont été publiés ce jour. Le parti islamiste Ennahda arrive en tête avec 89 sièges sur les 217 de l’Assemblée Constituante, suivi par le parti de gauche nationaliste CRP (Congrès pour la République) avec 29 sièges, et le mouvement du milliardaire Hechmi Haamdi «Pétition populaire», 26 élus. Le taux de participation a été de 54,1%, soit 4 millions d’électeurs sur un corps électoral estimé à 7,5 millions. L’Assemblée constituante se réunira pour la première fois le 22 novembre dans les locaux de l’ancien Parlement à Tunis. *** Mise à jour le 28 octobre 2011, 10h45: Hechmi Haamdi, le richissime homme d'affaires tunisien qui a remporté avec sa liste «Pétition populaire» 19 sièges dans l'assemblée constituante, a annoncé jeudi le retrait de l'ensemble de ses listes après leur invalidation partielle par la commission électoral. Le parti islamiste Ennahda a remporté les élections du 23 octobre en Tunisie avec «41,47% des sièges» de la nouvelle assemblée constituante, selon le résultat final provisoire annoncé jeudi soir par la commission électorale *** Comment se fait-il que la communauté tunisienne de France (et dans le reste du monde) ait voté dans sa grande majorité pour le parti islamiste Ennahda? C’est la question que se posent nombre de Tunisiens dont certains en veulent beaucoup à leurs concitoyens installés outre-Méditerranée.

«Je ne comprends pas. Ils vivent dans un pays moderne, ouvert et laïc qui est loin de connaître les mêmes problèmes sociaux, économiques et identitaires que la Tunisie. Je ne croyais pas qu’ils seraient eux aussi séduits par la propagande islamiste» s’interroge Adel, 40 ans, ingénieur dans une entreprise de travaux publics.

Sur Facebook et dans la très active blogosphère tunisienne, un message furibond fait un tabac. Une internaute qui se dit «franco-tunisienne» avertit les Tunisiens de France qu’elle va «voter Marine Le Pen à la prochaine élection présidentielle afin que la candidate du Front national renvoie chez eux tous les Tunisiens qui ont voté pour Ennahda». Une réaction épidermique qui tend à oublier que les binationaux sont, eux aussi, dans le collimateur de la dirigeante du Front national… Nombreux sont d’ailleurs les franco-tunisiens qui pensent que les résultats d’Ennahda en France vont constituer un argument pour l’extrême-droite, voire pour l’UMP, durant la prochaine présidentielle.

«Marine Le Pen va pouvoir dire que la France est minée de l’intérieur par une cinquième colonne islamiste» s’inquiète un binational qui, pour ses affaires, partage son temps entre Marseille et Sfax. Il est vrai que le souvenir du débat sur l’identité nationale lors de la campagne de 2007 et la résurgence régulière de polémiques sur la place de l’islam au sein d’un France laïque font craindre que le vote des Tunisiens de France ne soit instrumentalisé.

 

Conséquence de la sociologie de l’émigration

Pour autant, il est tout de même possible d’avancer quelques explications rationnelles quant aux motivations de ce vote en faveur d’Ennahda. En premier lieu, ce score est la conséquence de la sociologie de l’émigration tunisienne en France. Contrairement à une idée reçue, cette dernière n’est pas uniquement constituée de jeunes étudiants ou de brillantes élites bien intégrées dans la société française. Petits commerçants, ouvriers en bâtiment, vendeurs de fruits et légumes, nombre de Tunisiens résidant en France appartiennent aux bas échelons des classes moyennes, voire aux classes populaires. Un statut qu’ils retrouvent aussi en Tunisie même s’ils y disposent d’une assise financière plus importante. Cela explique pourquoi ces Tunisiens ne pouvaient que voter pour Ennahda dont le discours électoral a largement ciblé les classes les plus défavorisées en promettant plus d’aisance et de redistribution pour tous. Une autre raison réside dans le fait que de nombreux tunisiens résidant en France sont, ou ont été, des militants d’Ennahda obligés de s’exiler pour fuir la répression exercées par la police de Ben Ali. Installés dans l’Hexagone mais surveillés de près (et en toute impunité) par les sbires du régime tunisien, ces militants n’ont guère fait parler d’eux, évoluant en toute discrétion et en prenant soin de ne jamais afficher leurs convictions politico-religieuses au grand jour. Après la révolution du 14 janvier, certains sont certes rentrés au pays mais la majorité continue de vivre en France. Le scrutin du 23 octobre a donné à ces militants – et à leurs familles souvent gagnées à leurs idées - l’occasion de s’exprimer et donc d’exister enfin après plusieurs décennies de silence forcé.

 

Banalisation de propos racistes et islamophobes

Une troisième raison est liée à l’impact de la multiplication, voire à la banalisation, de propos racistes et islamophobes en France. Depuis plusieurs années, et les attentats du 11 septembre 2001 ont aggravé la tendance, l’islam en France fait l’objet de surenchères politiques et médiatiques. En effet, pas une semaine ne passe sans la mise en cause, directe ou directe, des musulmans qui vivent en France, qu’ils possèdent la nationalité française ou pas. Affaire du voile, repas halal dans les cantines, prénom des enfants, binationalité, les polémiques n’ont pas manqué et ont certainement engendré un fort sentiment identitaire et nationaliste qui s’est exprimé par le biais du vote pour Ennahda. Ainsi, le résultat de ce parti en France apparaît-il aussi comme un message envoyé à la société française. Un message, non pas de défiance car Ennahda n’a pas fait usage de slogans anti-français durant sa campagne, mais un message de proclamation d’identité et de demande de respect. C’est un peu comme si les électeurs d’Ennahda disaient aux Français :

«Voilà comment nous sommes. Respectez-nous et cessez de nous stigmatiser». Une affirmation qui, c’est évident, risque fort d’avoir l’effet inverse tant la société française se sent préoccupée par la présence de l’islamisme sur son sol.

 

Revanche à l’encontre d’une France officielle

Enfin, il ne faut pas non plus écarter l’hypothèse d’un vote qui constituerait une sorte de revanche à l’encontre d’une France officielle qui a trop longtemps soutenu le régime de Ben Ali en fermant les yeux sur la répression féroce dont faisaient l’objet les militants islamistes d’Ennahda. Les péripéties tunisiennes de Michèle Aliot-Marie en décembre et janviers derniers, alors ministre des Affaires étrangères en France, ont certainement laissé des traces. La certitude que les différents gouvernements français ont délibérément aidé Ben Ali à se maintenir au pouvoir sans lui demander la moindre concession en matière de droits de la personne humaine est très répandue chez les Tunisiens, qu’ils vivent en France ou dans leur pays. Du coup, le vote pour Ennahda, serait aussi l’affirmation d’un sentiment de défiance à l’égard de la classe politique française largement compromise dans le soutien à Ben Ali. Une classe politique qui d’ailleurs n’a toujours pas fait son mea-culpa à ce sujet... Et ce ne sont certainement pas les déclarations de Nicolas Sarkozy à propos de la vigilance de la France quant au respect des droits de l’homme en Tunisie par Ennahda qui vont arranger les choses. Pour autant, les dirigeants du parti islamiste tunisien savent qu’ils ne peuvent se mettre à dos le gouvernement français. Selon des informations obtenues à son siège à Tunis, ces mêmes dirigeants sont en contact étroit avec l’ambassade de France à Tunis et devraient même envoyer une délégation à Paris pour calmer le jeu et tenter de démontrer que les Français n’ont rien à craindre de la présence importante d’électeurs d’Ennahda sur leur sol. Akram Belkaïd, de Tunis

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