La forte croissance de la population sur le continent africain oblige les États à augmenter leurs investissements pour garantir un meilleur accès à l'eau potable. Notamment dans les villes. « La ressource existe. Le problème, ce sont les infrastructures. » Cette analyse du directeur général de la Société d'énergie et d'eau du Gabon (Seeg, filiale de Veolia), François Ombanda, résume à elle seule le paradoxe africain. Sur les 5 400 milliards de mètres cubes d'eau renouvelable par an que recèle le continent, il n'en consomme que 4 % pour boire, irriguer et produire de l'énergie. En conséquence, 300 millions d'Africains n'ont toujours pas accès à l'eau potable. Selon Sering Jallow, directeur du département eau et assainissement à la Banque africaine de développement (BAD) - laquelle a investi quelque 700 millions d'euros dans la distribution d'eau entre 2000 et 2010 -, « il faudrait que l'Afrique consacre 15 milliards de dollars par an [11,4 milliards d'euros, NDLR] pour fournir de l'eau potable à l'ensemble de la population. En règle générale, les infrastructures au sud du Sahara sont faibles et ne permettent réellement d'utiliser qu'environ 5 % des ressources en eau disponibles à des fins économiques et sociales, contre 70 % en Afrique du Nord. »
300 millions d'Africains n'ont pas accès à l'eau potable
Selon un rapport conjoint de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef), en 2008, l'approvisionnement en eau de la population était de 31 % en Afrique subsaharienne, de 60 % en Afrique du Nord. « Il est nécessaire d'accroître les investissements pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement [OMD] », juge Sering Jallow. Ces OMD prévoient de réduire de moitié le nombre d'habitants dépourvus d'accès à l'eau d'ici à 2015. « Seuls l'Afrique du Sud et peut-être le Sénégal atteindront ces objectifs », estime Sylvain Usher, secrétaire général de l'Association africaine de l'eau (AAE). « La démographie urbaine est galopante, c'est le principal défi des pays : se mettre à jour rapidement et anticiper l'avenir », poursuit-il. La population africaine devrait ainsi augmenter de moitié entre 2010 et 2040, avec un pourcentage de citadins qui passerait de 44 % à 57 %. L'AAE, avec la Banque mondiale, prépare actuellement une étude sur une trentaine de capitales africaines, afin de déterminer comment les sociétés de distribution peuvent préparer les vingt à trente prochaines années. Une première partie a été publiée lors du 16e congrès de l'association, à Marrakech (du 20 au 23 février 2012). Selon le cabinet de conseil et d'ingénierie français Sofreco, les besoins domestiques en eau d'ici à 2040 devraient se situer entre 135 milliards et 161 milliards de mètres cubes par an pour l'ensemble du continent. Avancées Il y a quand même des progrès. « La situation à Libreville est globalement satisfaisante », estime François Ombanda. À travers un partenariat avec l'État gabonais, la Seeg a déjà dépensé 52 millions d'euros pour optimiser la production et la distribution. Et quelque 190 millions seront encore débloqués dans ce but d'ici à 2017. « Aujourd'hui, 70 % de la population à Libreville et dans une cinquantaine de localités de l'agglomération ont accès à l'eau potable, précise le directeur général. Des renforcements sont encore à faire, la croissance démographique - et donc la consommation - étant plus importante que prévu. » Au Cameroun, la Camerounaise des eaux (CDE, coentreprise entre les marocains Onep, Delta Holding et la Caisse de dépôt et de gestion) a engagé un programme d'investissement de 450 millions à 600 millions d'euros entre 2009 et 2015. « L'objectif est de porter le taux d'accès à l'eau potable de 35 % à 60 % », explique Brahim Ramdane, directeur général de la CDE. Là aussi, la démographie urbaine reste le principal challenge : « Yaoundé en particulier subit une forte pénurie », concède le patron.
15 milliards de dollars d'investissement annuels seraient nécessaires pour approvisionner toute la population.
Les sociétés de distribution semblent aussi avoir amélioré leur mode de fonctionnement. « On constate que les dirigeants sont de mieux en mieux formés, relève Sylvain Usher. Les États semblent avoir compris qu'il fallait arrêter de faire des nominations politiques à ces postes. » Les firmes cherchent en outre à bénéficier des retours d'expériences. « Au sein de l'AAE, nous avons mis en place une plateforme de rencontre entre les différentes sociétés du continent, poursuit Sylvain Usher. Elles peuvent aussi échanger leurs expériences à travers le Water Operator Partnership mis en place par les Nations unies sur tous les continents. Le but, in fine, est de favoriser les partenariats entre sociétés d'eau. » L'arrivée des firmes privées à travers des partenariats public-privé, si elle s'est parfois faite dans la douleur, a en outre permis d'améliorer la gestion et les services. « La participation des entreprises privées à la fourniture de l'eau et à l'assainissement, en particulier dans le milieu urbain, a augmenté depuis une dizaine d'années », remarque Sering Jallow. Pour lui, la capacité à faire des bénéfices tout en minimisant les risques est le principal moteur d'attraction du secteur privé. Incertitudes Des principes qui semblent avoir été pris en compte : « Les politiques de développement soutenues des gouvernements et les réformes qui en ont découlé ont visé à créer un environnement propice en améliorant l'efficacité, le redressement financier et l'augmentation des prestations de services », souligne l'expert de la BAD. Même si, dans bien des zones encore, « les financements n'ont pas été à la hauteur, en raison des incertitudes liées à l'environnement politique et économique. » Reste que « la mobilisation de ressources internes et externes afin de construire les infrastructures d'eau et d'assainissement, d'une part, et la capacité institutionnelle à gérer leur mise en oeuvre et à les exploiter à des fins économiques et sociales, d'autre part, demeurent les principaux défis auxquels sont confrontés les pays d'Afrique subsaharienne », rappelle Sering Jallow. 300 millions d'Africains n'ont pas accès à l'eau potable. 15 milliards de dollars d'investissement annuels seraient nécessaires pour approvisionner toute la population
Source: Jeuneafrique