À Dakar aussi, le PS a ses frondeurs. Aïssata Tall Sall, l'ex-porte-parole du parti, se dit bien décidée à bousculer l'indéboulonnable Ousmane Tanor Dieng. Rencontre avec une femme au caractère bien trempé.
Aïssata Tall Sall, ex-porte-parole et
frondeuse du Parti socialiste sénégalais.
«Mon ambition est de faire élire au Sénégal la première femme présidente de la
République de l’espace africain francophone. Tirez-en vos propres conclusions. »
Quand on la questionne sur ses intentions en vue de la prochaine présidentielle,
Aïssata Tall Sall opte pour une esquive à peine diplomatique. Sans doute par
souci de ne pas alimenter la polémique au sein d’un Parti socialiste (PS) qui
n’a pas encore décidé s’il aurait un candidat en 2017, et où l’évocation de son
nom fait grimacer l’entourage de l’indéboulonnable Ousmane Tanor Dieng,
secrétaire général depuis 1996. « Nos relations sont fraîches », admet-elle dans
un sourire où affleurent les sous-entendus. Est-elle dedans ou dehors ? « Aucun
commentaire, répond, laconique, Abdoulaye Wilane, qui l’a remplacée au poste de
porte-parole du parti. C’est à elle de répondre. »
Au début de 2014, l’indocile députée et maire de Podor (Nord) avait commis un
crime de lèse-majesté en briguant la succession de Tanor à la tête de ce parti
autrefois puissant. À peine la primaire entamée, une manœuvre d’appareil avait
abouti à écarter sa candidature afin de laisser la voie libre à une réélection
de Tanor. Invoquant un risque pour « l’unité du parti », Khalifa Sall, le maire
de Dakar, s’était alors dévoué pour assumer la mise sur la touche de sa
camarade. « Khalifa Sall a été utilisé par Tanor, il l’a amèrement regretté par
la suite », commente un cadre socialiste. Depuis, les deux candidats putatifs du
PS à la prochaine présidentielle, aux tempéraments aussi contrastés que
l’iceberg et la lave, se sont réconciliés. « Je l’adore tellement ! » confie la
députée.
« C’est une femme de principes, qui dit ce qu’elle pense et ne se laisse pas
faire, ce qui lui a valu bien des déboires dans le parti », résume l’ancien
secrétaire général de Convergence socialiste, Malick Noël Seck, exclu du PS en
2012 pour avoir défié l’hégémonie d’Ousmane Tanor Dieng.
Famille maraboutique conservatrice
C’est dans les prétoires que cette quinquagénaire fringante a forgé son
éloquence. « La vie politique est très proche du métier d’avocat, estime-t-elle.
C’est affaire de rhétorique, de convictions et de contradiction. » Aussi,
lorsqu’elle a été nommée ministre de la Communication et porte-parole du
gouvernement -d’Abdou Diouf, en 1998, elle a eu l’impression de « passer de la
véranda au jardin ».
Cette subite ascension ne lui a pas donné le vertige pour autant. Dans le
parcours de cette native du Fouta, le saut d’obstacle fondateur est ce qui lui a
permis de contourner le sort qui lui était promis. Issue d’une famille
maraboutique conservatrice, où les femmes n’étaient pas destinées aux études,
Aïssata Tall a bénéficié du soutien d’un père « ouvert », bien décidé à donner à
ses neuf filles et à ses deux garçons une chance égale. Aînée de la fratrie, la
« petite paysanne de Podor » – comme elle se définit elle-même – atterrit à
Dakar après l’école primaire. Moquée par ses coquettes coreligionnaires, elle
parle le français et le pular mais ne comprend pas un mot de wolof. « On se
moquait de moi, j’ai failli tout abandonner », raconte-t-elle. Elle finira par
se faire une place.
« Tout s’acquiert par la détermination »
Après le bac, son père la verrait bien intégrer la prestigieuse Inspection
générale d’État. Quant au doyen de sa promotion de maîtrise à l’université de
Dakar, il la destine à l’enseignement du droit. Mais ce qu’elle veut, elle,
c’est enfiler la robe d’avocate. Pour pouvoir prêter serment, elle initie sa
première rébellion, en assignant devant la cour d’appel le conseil de l’Ordre –
qui renâclait à l’intégrer, ainsi qu’une trentaine de jeunes avocats. Première
cause défendue… et première victoire. « Dans la vie, rien n’est donné : tout
s’acquiert par la détermination. »
Spécialisée en droit des affaires, elle a entre-temps épousé le magistrat Issa
Sall et versé progressivement dans les dossiers politiques (lire ci-dessous).
Aujourd’hui, elle fourbit ses armes en vue de la prochaine présidentielle. Avec
une détermination intacte mais peu d’alliés assumés. Bien que son parti
participe à la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar, elle a déjà annoncé
qu’elle ne roulerait pas pour Macky Sall, dont elle dresse un bilan en
demi-teinte : « Peut mieux faire ! » Celle qui boycotte depuis un an les
instances dirigeantes du PS, par défiance envers Tanor, l’indéracinable « baobab
» socialiste, entend bien jouer sa carte à la primaire qu’elle appelle de ses
vœux. « Ce sont les femmes qui porteront le changement en Afrique », veut-elle
croire. Pour l’heure, son principal challenger présumé, Khalifa Sall, entretient
le mystère sur son propre agenda. « Ma candidature n’est pas à l’ordre du jour
», a-t-il récemment déclaré.
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Robe noire et robe de soirée
De 2000 à 2012, elle plaida dans les principaux procès politiques face au
régime de Wade. Une rivalité qui ne l’empêche pas d’entretenir des relations
mutuellement respectueuses avec l’ancien chef de l’État, lequel a appelé ses
troupes à voter pour elle à Podor, en 2014, face à une candidature concurrente
émanant du parti de Macky Sall. « Me Wade a beaucoup de respect pour son
engagement et ses convictions, assure le directeur de cabinet de l’ancien
président, Amadou Tidiane Wone. Quand il la croise, il la taquine :
Ailleurs en Afrique, elle a plaidé pour les généraux ivoiriens Palenfo et
Coulibaly – accusés d’atteinte à la sûreté de l’État -, l’ancien président
mauritanien Mohamed Ould Haidalla, l’ex-premier ministre togolais Agbéyomé Kodjo
ou encore le président malien par intérim Dioncounda Traoré. C’est au procès des
deux Ivoiriens que le cinéaste Abderrahmane Sissako la remarque. Quelques années
plus tard, il lui proposera de jouer son propre rôle dans son film Bamako, où
elle défend la cause de l’Afrique face au FMI et à la Banque mondiale. Cela lui
vaudra, en 2006, de monter les marches du Festival de Cannes au bras d’Abdou
Diouf, alors secrétaire général de la Francophonie, dont elle avait été la
ministre.