Afrique


Derrière les violences en Centrafrique se cachent les diamants de sang


Depuis le milieu de l'année 2013, un embargo international interdit toute importation de diamants centrafricains. Mais la production de pierres précieuses n'a pas cessé.

Depuis vendredi 25 septembre, une vague de violences sanglantes touche Bangui, la capitale de la Centrafrique. Selon l'ONU, au moins 36 personnes ont été tuées et au moins 27.400 autres ont été déplacées depuis samedi.

 

 


Un homme montre un diamant à vendre dans la région de Boda en Centrafrique, le 1 mai 2014.

 


«Nous craignons que la violence que nous voyons à Bangui soit un retour aux jours sombres de la fin 2013 et de 2014, lorsque des milliers de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers ont dû fuir leurs foyers», a déclaré un porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, Leo Dobbs, lors d'un point de presse à Genève.

Dans un tweet posté sur son compte officiel, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés s'est également alarmée de ces affrontements. «Bangui était relativement en paix mais le retour des violences qui ont commencé samedi a causé la panique dans la ville où un couvre-feu a été instauré.»

Bangui was relatively peaceful but renewed fighting began Saturday Violence has caused panic in the city, where a curfew has been imposed.

Blood diamonds
Cette rupture de la paix - précaire - qui régnait dans la capitale depuis la fin des combats, qui avaient opposé les milices à majorité musulmanes de la Séléka aux combattants chrétiens anti-Balaka, survient au moment même où l'ONG Amnesty International publie un rapport sur le commerce des diamants de sang qui touche le pays et profite à des groupes armés. Cela malgré la mise en place d'un embargo international sur les pierres précieuses centrafricaines en vigueur depuis mai 2013 et signé par les pays membres du processus de Kimberley.

Le processus de Kimberley est un régime international de certification des diamants bruts, qui réunit gouvernements et industriels du diamant, dans l'objectif d'éviter de négocier sur le marché mondial, l'achat des diamants présentés par des mouvements rebelles dans le but de financer leurs activités militaires.
Mais depuis la mise au ban des diamants centrafricains en mai 2013, la production de diamants n'a pas ralenti dans certaines régions de Centrafrique où des groupes armés sont présents, comme l'affirme Amnesty International dans son rapport.

«Pendant qu'une partie des diamants a été stockée dans les centres d'achat centrafricains, de nombreux autres diamants ont été vendus pendant le conflit et ont été exportés en contrebande dans des pays voisins dont la République démocratique du Congo et le Cameroun. La contrebande de diamants en Centrafrique était déjà importante avant le conflit actuel, mais de nombreux experts s'accordent à dire que les quantités de diamants vendues illégalement ont augmenté depuis.»

Les enquêteurs d'Amnesty ont notamment rencontré des acheteurs de diamants qui leur ont certifié avoir acheté des pierres précieuses à des milices anti-Balaka autour de la ville de Carnot dans l'ouest du pays en mai 2015.

De son côté, l'ONU estime dans un autre rapport que l'équivalent de 140.000 carats supplémentaires ont transité par les réseaux de contrebande depuis le milieu de l'année 2013. «Mais très peu de diamants saisis sur le plan international ont été identifiés comme venant de Centrafrique», souligne Amnesty International. Ce qui signifie qu'une large part des diamants de sang centrafricains exportés illégalement ont été introduits sur le marché mondial et achetés par des consommateurs.

 

 


Une mine de diamants à Game en Centrafrique, le 24 avril 2014.

 

 Dubaï, plaque tournante
Selon Amnesty International, une large partie de ces diamants de sang centrafricains passent par Dubaï, le plus grand centre international de négoce de pierres précieuses avec Anvers en Belgique.

«Dans la chaîne de circulation de diamants, on assiste à un mélange des pierres», nous explique Sabine Gagnier, coordinatrice du rapport chez Amnesty International. «Il suffit qu'un négociant introduise un diamant originaire de Centrafrique parmi des diamants issus de d'autres pays pour que le mélange soit intitulé "origines diverses"». De la sorte, les diamants de sang sont vendus incognito.

Il existe également «des documents officiels frauduleux qui permettent de masquer l'origine des diamants», nous confie un analyste membre d'une grande organisation internationale et spécialiste de la Centrafrique qui préfère rester anonyme.

Dans les conclusions de son enquête, Amnesty International affirme que ses enquêteurs ont trouvé «plusieurs faiblesses» qui pourraient laisser penser que les diamants de contrebande pénètrent dans les chaînes d'approvisionnement en de nombreux points. «Notre sentiment, c'est qu'ils (les autorités de Dubaï) sont souples car une platerforme diamantaire permet de faire tourner beaucoup d'argent. Mais ça ne veut pas dire que les négociants de Dubaï savent qu'ils achètent des diamants de Centrafrique», rapporte Sabine Gagnier.

Un commerce qui bénéficie d'abord à la Séléka
Parmi les groupes armés de Centrafrique, ce sont les milices de la Séléka qui tirent le plus de recettes des diamants de sang. Depuis mai 2013, le nombre de diamants extraits dans les mines de l'ouest du pays, tenues majoritairement par les anti-Balaka, a baissé. Mais dans l'est, fief des hommes de la Séléka, certains sites sont toujours aussi productifs.

«La Séléka est implantée depuis plus longtemps et connaît mieux les circuits de contrebande des diamants à l'intérieur du pays et à l'international», souligne notre analyste.

Lors de leur avancée vers Bangui en mars 2013, les milices de la Séléka s'étaient emparées des régions diamantifères de Bria et Sam-Ouandja dans l'est du pays. Jusqu'en mai 2013 et l'embargo international, ces mines fournissaient toujours les chaînes d'approvisionnement mondiales en toute légalité. Et s'ils ont été chassées de Bangui, les troupes de la Séléka contrôlent toujours des territoires dans l'est.

«Même après que la Séléka fut chassée de Bangui et de l'ouest du pays, ses combattants sont restés bien implantés dans les régions du centre et du nord-est. Selon le panel d'experts de l'ONU, certaines factions de la Séléka continuent à bénéficier du commerce de diamants dans l'est», dénonce Amnesty International dans son rapport.

Mais le contrôle de mines par des groupes armés en Centrafrique n'est pas nouveau. Dans un rapport publié en 2010, l'International crisis group soulignait que plusieurs milices vendaient des diamants dans l'est du pays malgré des accords de paix signés avec le régime du président Bozizé, renversé par la Séléka en 2013.

«Le refus du gouvernement de redistribuer les richesses nationales de manière équitable a mené des groupes à prendre les armes pour se tailler une plus grosse part dans le gâteau», écrivait l'International crisis group.

En 2008, l'armée centrafricaine avait mené une série de rafles dans des mines locales. Les vendeurs de diamants et les propriétaires de mines avaient été dépouillés d'une partie de leurs stocks et avaient promis de se venger. Ils ont reçu le soutien de la Séléka. Une alliance qui a ensuite profité aux milices.

Cependant, il est difficile d'établir dans quelles proportions le commerce des diamants de sang a pu profiter aux groupes armés qui ont plongé la Centrafrique dans le chaos. «On ne sait pas dans quelle mesure les groupes armés se financent grâce à la contrebande de diamants car ils ont aussi d'autres revenus. Mais ce qui est sûr, c'est qu'une partie de ce business leur a profité», conclut Sabine Gagnier d'Amnesty International.

La Centrafrique, dont les diamants vendus à l'étranger représentaient 50% de la valeur totale de ses exportations en 2012, a, elle, perdu gros depuis la mise en place de l'embargo.


Camille Belsoeur

Journaliste à Slate Afrique.

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