Dans un contexte de crise des minerais, le pays, qui détient les premières réserves mondiales, bénéficie de la hausse de la demande chinoise.
Gisement de Sangaredi, où sont extraites 16
millions de tonnes par an.
Tandis que les cours de la quasi-totalité des minerais sont au plus bas, le prix
de la bauxite, qui se vend de gré à gré, reste à des niveaux élevés, au-dessus
de 55 dollars la tonne depuis 2014. Et ce bien que le cours de l’aluminium –
produit à partir de la bauxite – ait lui plongé de 17,8 % ces douze derniers
mois.
Avec 25 milliards de tonnes de bauxite dans son sous-sol (la moitié des réserves
mondiales connues), la Guinée tire son épingle du jeu, profitant des besoins de
la Chine, où les usines d’aluminium tournent à plein régime. « Pékin importe des
quantités beaucoup plus importantes de bauxite pour ses raffineries à cause de
la mauvaise qualité et de l’épuisement de ses propres gisements. Résultat, le
marché de la bauxite dite tropicale, issue principalement de Guinée, d’Asie du
Sud-Est et d’Australie, s’est agrandi », explique le Français Romain Girbal,
président d’Alliance minière responsable (AMR), qui développe un projet en
Guinée maritime. « Avant, la plupart des grands groupes d’aluminium –
occidentaux, moyen-orientaux et chinois – détenaient leurs propres gisements.
Désormais, ils sont plus nombreux à acheter à des tiers », remarque-t-il.
Mis à part les coûts de transport, élevés, vers l’empire du Milieu, « la Guinée
est très intéressante : la qualité de ses gisements est bien meilleure vu la
concentration des minerais, les quantités disponibles, et leur faible contenu en
oxyde de silice, qui complique la transformation en aluminium », fait valoir le
Sud-Africain William Morrell, vice-président d’Emirates Global Aluminium (EGA),
qui mène pour cette compagnie de Dubaï le projet Guinea Alumina Corporation
(GAC) dans la région de Boké (Nord-Ouest).
La Guinée bénéficie aussi de la disparition de quelques concurrents de poids.
Depuis 2014, elle profite notamment de l’interdiction par l’Indonésie (près de
50 millions de tonnes de bauxite produites en 2013) d’exporter ses minerais
bruts. Les difficultés rencontrées en Malaisie, autre grand producteur, où
l’extraction de bauxite a été interdite pour trois mois au moins début janvier
en raison des risques sanitaires et environnementaux de cette activité
polluante, lui sont également favorables.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les géants de l’aluminium se soient
penchés sur la Guinée. « Des projets ont émergé dans le pays, principalement
dans la région de Boké, où la Compagnie des bauxites de Guinée [CBG, détenue par
l’État et le consortium Halco Mining, qui regroupe Rio Tinto Alcan, Alcoa et
Dadco] est active depuis 1973 », observe l’avocat Pascal Agboyibor, du cabinet
Orrick, qui conseille le gouvernement guinéen sur les projets miniers.
Ebola en cause dans le ralentissement des projets
Pour le moment, seuls quatre gisements sont en production : les «
historiques », ceux de la CBG, qui produit à Sangaredi quelque 16 millions de
tonnes par an, et du géant moscovite Rusal, qui extrait de ses mines de Fria et
de Kindia environ 4 millions de tonnes chaque année ; ainsi que celui de la
Société minière de Boké (SMB), pilotée par China Hongqiao Group, qui a démarré
l’exploitation en août 2015 et vise de 5 millions à 10 millions de tonnes par
an.
Plusieurs autres projets sont en développement, conduits par les Émiratis d’EGA,
les Français d’AMR et les Chinois de Henan International Mining et de China
Power Investment. Tous se situent dans la région de Boké. Rusal négocie
également avec l’État pour une exploitation à Dian-Dian. « Ebola et la
présidentielle ont ralenti, voire gelé, l’avancement de ces projets ces deux
dernières années, concède Pascal Agboyibor. Mais la déclaration, le 29 décembre,
de la fin de l’épidémie, couplée à la nomination au poste de Premier ministre du
minier Mamady Youla, ancien directeur général de Guinea Alumina Corporation, va
les relancer. » Le conseiller du gouvernement escompte un regain d’intérêt pour
la filière, notamment lors du salon
Mining Indaba, qui se tiendra du 8 au 11 février au Cap et auquel se rendra une
imposante délégation guinéenne menée par Abdoulaye Magassouba, le nouveau
ministre des Mines nommé le 5 janvier.
Reste que la réussite de la filière dépendra avant tout de la mutualisation des
infrastructures de transport du minerai, notamment dans la région de Boké, où la
CBG gère la voie ferrée entre son gisement de Sangaredi et la ville portuaire et
industrielle de Kamsar, d’où elle fait partir ses bateaux chargés de bauxite.
Pour pouvoir emprunter cette voie ferrée et optimiser leurs coûts, les
responsables des projets émiratis, chinois, français et russes devront
s’entendre avec le concessionnaire. Sera-t-il partageur ?
UNE GOUVERNANCE APPRÉCIÉE
De l’avis des groupes miniers internationaux interrogés, l’administration
guinéenne fait preuve d’une bonne maîtrise technique des sujets et d’une
certaine flexibilité dans les discussions. « Les Guinéens sont des « pros » de
la bauxite, qu’ils exploitent depuis des décennies », apprécie Romain Girbal,
président d’Alliance minière responsable (AMR). « Même si cela a été difficile,
le report de notre projet de raffinerie d’alumine, finalement implantée dans un
premier temps aux Émirats et non en Guinée comme initialement prévu, a été
accepté par les autorités. Elles ont compris que les coûts logistiques et
d’électrification actuels rendaient l’usine non viable pour le moment, et ont
tout fait pour que la mine de Guinea Alumina Corporation démarre malgré tout »,
apprécie William Morrell, vice-président d’Emirates Global Aluminium (EGA).