Vingt ans après le génocide qui fit quelque 800. 000 morts au Rwanda, la France, souvent critiquée pour son rôle dans ce drame, juge pour la première fois à partir de mardi un Rwandais accusé de complicité dans les massacres.
Pour ce procès historique, Pascal Simbikangwa, 54 ans, comparaîtra six à huit semaines devant la cour d'assises de Paris pour avoir "contribué, en connaissance de cause, à la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires et autres actes inhumains ainsi qu'au génocide", selon l'acte d'accusation. Il risque la prison à perpétuité.
Cet ancien capitaine de l'armée rwandaise, paraplégique depuis 1986, comparaîtra lors d'audiences qui seront, fait exceptionnel, filmées. Il assume sa proximité avec le pouvoir du président hutu Juvénal Habyarimana, dont l'assassinat le 6 avril 1994 fut le déclencheur du génocide, mais nie toute participation ou organisation des massacres.
Ses avocats, Alexandra Bourgeot et Fabrice Epstein, dénoncent un dossier où "les seules accusations sont des témoignages", soulignant que leur client "nie les faits depuis le début" et "ne comprend pas pourquoi il est là ".
Il a été mis en examen (inculpé) initialement pour génocide et crimes contre l'humanité, mais l'instruction n'a finalement retenu que la complicité. Une autre accusation de tortures a été jugée prescrite. Ce qui démontre, pour ses défenseurs, qu'"il y avait très, très peu de charges contre lui. Mais parce qu'il faut bien le renvoyer devant une cour d'assises, il reste la complicité".
Car pour la défense, ce procès est éminemment politico-diplomatique, alors que Kigali et Paris, accusé par les autorités rwandaises issues de l'ex-rébellion tutsi d'avoir soutenu les génocidaires, se sont rapprochés, après trois années de rupture des relations diplomatiques (2006-2009).
"Il y a une pression des autorités rwandaises sur la France", et "une pression monstrueuse des parties civiles" à l'origine de la plainte, dénoncent les avocats. "On a l'impression que c'est les 20 ans du génocide des Tutsi et que donc il faut condamner Pascal Simbikangwa", pour "en faire un exemple".
"Examiner des faits précis"
"Nous allons tout faire pour que ce ne soit pas (. . . ) un bouc émissaire, et on attend de la cour d'assises qu'elle juge Pascal Simbikangwa comme un être humain avec des faits précis", poursuivent les défenseurs.
Concrètement, l'accusation lui reproche d'avoir, à Kigali et dans sa région natale de Gisenyi, province d'origine du président Habyarimana, organisé les barrages auxquels étaient filtrés et exécutés les Tutsi et d'avoir donné des instructions et livré des armes à ceux qui les tenaient.
Sa participation directe à un terrible massacre, sur la colline de Kesho (province de Gisenyi), a en revanche été abandonnée, les juges d'instruction soulignant l'aspect "tardif" et "contradictoire" des témoignages le mettant en cause.
Un "crève-coeur" pour Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui évoque cette "petite colline de rien du tout, (avec) une église en haut, les gens se sont réfugiés là , ils se sont défendus pendant une journée, ils jetaient des pierres".
La complicité "n'est en rien une diminution de responsabilité", analyse Simon Foreman, avocat du CPCR, pour qui Simbikangwa est "un rouage qui met en route la mécanique exécutée par d'autres".
C'est le CPCR qui a déposé plainte contre Pascal Simbikangwa, arrêté en octobre 2008 sur l'île française de Mayotte où il vivait sous une autre identité depuis environ trois ans. La justice française a refusé, comme elle l'a pour l'instant toujours fait, de l'extrader vers le Rwanda.
Quatre autres ONG, dont la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), sont parties civiles, mais la seule plaignante physique, installée en Belgique, qui le considérait responsable du massacre de sa famille, a été rejetée "en l'absence d'éléments de preuve".
"Il aurait pu y avoir plus d'efforts pour rechercher des victimes directes", regrette Patrick Baudoin, avocat et président d'honneur de la FIDH, tout en se félicitant qu'un procès ait enfin lieu après des années où, "à l'évidence, il n'y a pas eu de volonté politique" de faire aboutir ces procédures (24 plaintes à ce jour en France sur le génocide rwandais), mais au contraire des "perturbations". "Enfin la France remplit ses obligations". 04022014 Jeuneafrique
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