Algérie : l'appel au boycott, une tradition
le 01/03/2014 09:30:31
Algérie

Les élections présidentielles ont toujours été marquées par des appels au boycott. Celle du 17 avril ne dérogera pas à la règle.

Malgré les 80 candidats à la candidature, parmi lesquels deux anciens Premiers ministres (Ahmed Benbitour et Ali Benflis), un général à la retraite (Mohand Tahar Yala), un ex-ministre du Budget (Ali Benouari) et une dizaine de chefs de partis de l'opposition, dont Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, trotskiste), et Moussa Touati, patron du Front national algérien (FNA), l'élection présidentielle du 17 avril sera boudée par une partie de la classe politique.

Elle se tiendra ainsi sans les laïcs du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Mohcine Belabbas), qui a décidé, le 24 janvier, de ne pas participer à un "scrutin qui n'obéit pas aux règles démocratiques". Le RCD estime que sa demande "de dessaisir le ministère de l'Intérieur de la gestion des élections et [de mettre sur pied une] commission de gestion permanente et autonome, à l'instar de ce qui se fait chez [les] voisins [...], a été ignorée et rejetée". Les différentes composantes du courant islamiste ont également annoncé, le 26 janvier, qu'elles boycotteraient le scrutin. Des Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP, d'Abderrezak Mokri) aux salafistes quiétistes d'El-Islah en passant par l'électron libre des fondamentalistes algériens, Abdallah Djaballah, leader du Front de la justice et du développement (FJD), tous exigeaient, comme le RCD, que l'organisation et la supervision du scrutin soient confiées à une commission indépendante sur le modèle de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) tunisienne. Une exigence difficile à satisfaire car, aux termes de la loi, cette mission incombe à l'administration sous la supervision du pouvoir judiciaire, incarné par 1 500 magistrats.

S'il s'est abstenu de répondre à cette revendication, formulée dans une lettre ouverte signée par une quarantaine de formations politiques, le ministère de l'Intérieur n'a pas tardé à réagir à l'annonce du boycott actif. Tayeb Belaiz, ministre d'État, a ainsi déclaré, le 31 janvier, devant le Conseil de la nation (Sénat), que "seuls les candidats dont le dossier a été validé par le Conseil constitutionnel seront autorisés à faire campagne". Une menace dont Mohamed Talbi, directeur général des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur, a précisé les contours : "Les 3 250 salles et sites prévus pour les meetings électoraux durant la campagne seront exclusivement mis à la disposition des candidats qui disposent du quitus délivré par le Conseil constitutionnel."

Piégés

La constitutionnaliste Fatiha Benabbou estime que le gouvernement joue sur du velours : "Selon la loi, les candidats sont ceux que le Conseil constitutionnel considère comme tels et dont les noms sont publiés au Journal officiel de la République algérienne [Jora]. Tous ceux qui ne remplissent pas cette condition sont donc hors jeu." Mais la juriste pointe une contradiction entre cette disposition, qui empêche les tenants du boycott de faire campagne, et l'article 41 de la Constitution, qui garantit la liberté d'expression. Ni le RCD ni le MSP, principaux animateurs du front du refus, n'ont envisagé de poser la question de la constitutionnalité de la loi électorale au moment où elle a été adoptée. "Leur manque de réactivité a fait qu'aujourd'hui ils sont totalement piégés", conclut Fatiha Benabbou.

Ni les laïcs ni les islamistes ne semblent disposés à renoncer à leur droit de faire campagne pour le boycott.

Seulement voilà, ni les laïcs ni les islamistes ne semblent disposés à renoncer à leur droit de faire campagne pour le boycott. Depuis 2009, dernière élection présidentielle en date, l'Algérie a changé. L'audiovisuel et ses influents médias ne relèvent plus du monopole de l'État. Les quelque dix chaînes de télévision privées qui ont vu le jour ne vont pas s'embarrasser du juridisme gouvernemental et interdire leur antenne aux dirigeants du RCD, des Frères musulmans et de tous ceux qui prônent le boycott. Autre bonne nouvelle pour le front du refus : le renfort de trois éminentes personnalités nationales. Ahmed Taleb Ibrahimi, Me Ali Yahia Abdennour et le général Rachid Benyellès. Le poids de ce trio a apporté un peu d'oxygène aux partisans du boycott, accusés par une partie de l'opinion d'avoir peur d'affronter le suffrage universel.

Un pouvoir autiste

Quant aux opposants qui se sont lancés dans la course aux parrainages, s'ils se gardent de juger publiquement le front du refus, ils n'en considèrent pas moins celui-ci comme l'allié objectif d'un pouvoir rétif à toute idée de changement. "Ce n'est pas en boycottant les élections que l'on fera partir le système", assure un membre du staff du candidat Ali Benflis. Dans l'entourage d'Ahmed Benbitour, on déplore un gâchis dont la responsabilité incombe en premier lieu à un pouvoir autiste. Entre inflation de candidatures et promesses d'abstention record, l'épais brouillard qui entoure le scrutin du 17 avril n'est pas près de se lever.

Un renfort de poids

En 2004, ils s'étaient déjà illustrés en demandant à l'armée d'empêcher Abdelaziz Bouteflika de briguer un deuxième mandat. Même au prix d'un coup d'État militaire. Dix ans plus tard, ils récidivent. Cette fois, ils n'en appellent pas à l'institution militaire mais aux électeurs, qu'ils exhortent à bouder les urnes. Ahmed Taleb Ibrahimi, 82 ans, ancien chef de la diplomatie, Me Ali Yahia Abdennour, 93 ans, vétéran du combat pour les droits de l'homme, et le général Rachid Benyellès, benjamin du trio avec ses 75 printemps, ont fait paraître, le 10 février, une déclaration dressant un tableau noir des quinze ans de règne du président Abdelaziz Bouteflika et appelant les Algériens à boycotter le scrutin du 17 avril si l'actuel locataire d'El-Mouradia briguait un quatrième mandat.
01032014
Jeuneafrique

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