Depuis que deux comédiens ont révélé, au cour d'une émission de Dzaïr TV, qu'ils avaient été payés pour leur participation au clip de campagne d'Abdelaziz Bouteflika, la chaîne de télévision est dans le viseur du clan présidentiel. Deux de ses émissions phares ont été suspendues en trois jours.
C'est une tempête politico-médiatique dont la chaîne privée algérienne Dzaïr TV se serait bien passé. Tout commence le dimanche 30 mars, lors de la diffusion l'émission quotidienne "System DZ". Ce jour-là , deux comédiens et chroniqueurs de l'émission, Amine Ikhlef et Mohamed Bounoughaz, avouent qu'ils ont été rémunérés pour leur participation au clip de campagne du président-candidat Abdelaziz Bouteflika. Dès le lendemain, plusieurs médias, dont Jeune Afrique, relayent l'information, déclenchant une vaste polémique et la colère du clan présidentiel.
Le 1er avril, la direction de la chaîne fait savoir à l'animateur Abdellah Benadouda que son talk-show populaire est temporairement suspendu. Officiellement, Mohamed Hakem, le directeur général de Dzaïr TV – qui appartient à l'homme d'affaires Ali Haddad, soutien de Bouteflika -, affirme qu'il n'a subi aucune pression extérieure. "C’est une décision interne liée à la prestation des animateurs dans un numéro où on a constaté une petite tension entre les membres de l’équipe qui était jusque-là homogène", a-t-il ainsi expliqué à nos confrères de Tout sur l'Algérie.
"Grosses pressions"
Mais en interne, le son de cloche n'est pas tout à fait le même. "Cela fait trois jours que nous subissons de grosses pressions suite à l'émission du 30 mars", confie un salarié de la chaîne. Car l'affaire, entre temps, a pris une autre envergure. Mercredi 2 avril, "Controverses", l'émission politique hebdomadaire de Dzaïr TV, n'a pas été diffusée à 20h30 comme d'habitude.
Le programme, enregistré le matin même, a été suspendu dans l'après-midi. Son invité était le président du parti Jil Jadid, Sofiane Djilali, un farouche opposant à Abdelaziz Bouteflika. "Mohamed Hakem a reçu un appel lui demandant de déprogrammer 'Controverses', explique notre source. Il n'y a pas beaucoup de doutes sur les raisons de cette censure : d'abord la polémique sur le clip de campagne, puis l'identité de l'invité."
Intervention de SaĂŻd Bouteflika ?
Sofiane Djilali, contacté par téléphone, confirme cette version. "D'après mes informations, Saïd Bouteflika [le puissant frère cadet du président, NDLR] aurait appelé les dirigeants de la chaîne pour les menacer de réserver à Dzaïr TV le même sort qu'à Atlas TV". Visiblement trop critique envers le pouvoir, Atlas TV a été contrainte à la fermeture le 12 mars dernier sur "ordre des autorités", d'après son directeur de rédaction, Hafnaoui Ghoul.
Ces deux suspensions d'émission ont en tout cas provoqué une vive inquiétude chez les journalistes de Dzaïr TV, qui, selon l'un d'entre eux, redoutent que la chaîne, lancée en mai 2013, ne devienne une sorte "de télévision d’État-bis". "Toute cette affaire ne fait que confirmer ce que je répète depuis plusieurs semaines, poursuit pour sa part Sofiane Djilali. Le clan présidentiel veut coûte que coûte museler l'opposition et faire taire la moindre critique à son égard." D'après nos informations, l'émission "Controverses" ne devrait pas être retransmise d'ici l'élection présidentielle, fixée au jeudi 17 avril.
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Benjamin Roger 05042014 Jeuneafrique
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