La fermeture prolongée du poste-frontière de Ras el-Jdir, entre la Tunisie et la Libye, nuit gravement à l'économie de la région de Ben Guerdane, basée sur la contrebande d'armes et d'essence.
Les violentes manifestations se multiplient. Aux environs de Ben Guerdane, on est bien loin de l’image d’Epinal d’un Sud tunisien magnifié par les vendeurs de rêves. Ici, le vent ne soulève que la poussière, et la route allant en Libye est désespérément déserte. Depuis que le poste frontière de Ras el Jdir a été fermé, au début du mois de mars, toute la zone sud du gouvernorat de Médenine vit au ralenti. Et la population ne cache plus son mécontentement.
"Il n’y a jamais eu d’autres ressources que celles du passage des voyageurs, on effectue le change au noir, on s’approvisionne en essence de l’autre côté de la frontière et on vivote avec des produits chinois ou des turcs revendus sur les marchés en Tunisie", assure Hamdi, un jeune monté à Tunis pour manifester sa colère sur la place du gouvernement, avec d’autres habitants de Ben Guerdane, le 5 avril.
Lui et ses camarades ont été reçus dimanche par le président Moncef Marzouki avant d'être entendus par l’Assemblée nationale constituante (ANC). Depuis la révolution, la région de ben Guerdane a certes crié sa misère, mais elle est aussi devenue le fief de la contrebande avec la Libye. C’est d’ailleurs le coup porté à l’économie parallèle, début mars, par le nouveau chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, en visite sur les frontières tuniso-libyennes, qui a mis le feu aux poudres.
Ben Guerdane se livre à toutes sortes de trafic avec la Libye, dont celui des armes, comme l’attestent les saisies opérées régulièrement par la garde nationale.
"Nous n’avons ni armes, ni jihadistes. Jomâa nous a ignoré et a juste entendu les responsables de la région", se défend Hamdi, qui ramène le mouvement protestataire à une question de fierté régionale. Pourtant, il est de notoriété publique que la zone de Ben Guerdane se livre à toutes sortes de trafic avec la Libye, dont celui des armes, comme l’attestent les saisies régulièrement opérées par la garde nationale.
Liens familiaux
Il est vrai que les liens familiaux, de part et d’autre de la frontière, favorisent les échanges clandestins. Mais on ne peut pas parler pour autant d’une levée de boucliers des tribus contre l’État. En revanche, les baronnets qui gèrent les trafics sont mécontents de devoir réorganiser leurs filières et semblent instrumentaliser jusqu'aux prêches des salafistes pour ne pas perdre leur gagne pain.
Ainsi, les protestations pacifiques se sont muées en une violence urbaine qui vise même les syndicats… Reste que la réouverture de Ras El Jdir dans de bonnes conditions de sécurité est essentielle pour la survie de la région, mais le dossier ne semble pas émouvoir les partis politiques. Rached Ghnannouchi, président du parti Ennahdha, a renoncé à se rendre à Ben Guerdane et aucun dirigeant n’est intervenu sur la question.
"C’est le même scénario qu’en 2011 et 2012 : dès qu’il s’agit d’assainir le passage aux frontières, Ben Guerdane se soulève, affirme d’un air blasé un agent des douanes qui explique que, pour l’État tunisien, le manque à gagner dû à la contrebande à Ras El Jdir atteint les 1,5 million d’euros par jour, les véhicules privés échappant facilement aux contrôles en payant une taxe forfaitaire de 25 euros à l’entrée en Tunisie. "En trouvant à qui profite de la situation, on mettra la main sur ceux qui poussent au soulèvement", résume le douanier.
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Par Frida Dahmani, Ă Tunis 8042014 Jeuneafrique
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