Dimanche s'est achevée la campagne électorale pour la présidentielle algérienne. Une nouvelle fois, le candidat Bouteflika aura brillé par son absence lors du dernier meeting de son équipe à la Coupole du stade du 5 juillet. Reportage.
Il n’est pas venu, comme le laissaient entendre les rumeurs qui couraient la veille. Ce dimanche 13 avril, dernier jour de la campagne électorale pour la présidentielle du 17 avril, le président candidat Abdelaziz Bouteflika n’était pas présent à la Coupole du stade du 5 juillet, sur les hauteurs d’Alger. Absent comme ce fut le cas durant ces 21 jours de ce marathon électoral dense, chaud et violent, le président algérien qui brique un quatrième mandat à l’âge de 77 ans s’est fait représenter par ses lieutenants, à leur tête Abdelmalek Sellal, son directeur de campagne.
À l’extérieur de la Coupole, des bus, des fourgons et des voitures ont déversé des milliers de sympathisants ramenés de toutes les régions d’Algérie. Étudiant en droit, Salahdine, 24 ans, est venu de Jijel, dans l’Est du pays. Arborant un portrait du chef de l’État, une casquette frappée son effigie et vissée sur le front, Salahdine tenait à être présent à ce dernier meeting organisé dans la capitale. Enthousiaste, il défend la candidature du président sortant. "Bouteflika a ramené la paix dans les foyers, explique ce jeune étudiant. Il a construit des universités, des usines, remboursé les dettes et offert de l’emploi et des logements à des millions d’Algériens. Il est le garant de la stabilité, nous devons donc lui faire confiance pour un quatrième mandat. Cela fait 50 ans qu’il se sacrifie pour l’Algérie."
"Bouteflika est un miracle pour l’Algérie"
À l’intérieur, l’enceinte sportive est pleine comme un œuf. Dans les gradins et dans l’esplanade de la grande salle s’entassent des membres d’associations estudiantines, des travailleurs d’entreprises publiques comme Sonatrach ou Sonelgaz, des syndicalistes de l’UGTA (Union nationale des travailleurs algériens), des employés de boites privées qui soutiennent Bouteflika, des sportifs ainsi que des personnalités de la société civile. Ils sont tous là pour acclamer ce président-absent et pour écouter le discours de celui qui le représente par procuration, l’ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal.
Nous devons faire confiance Ă ce moudjahid.
Dans une cohue indescriptible, après plus d’une heure d’attente, ce dernier apparait enfin. Derrière lui, se tiennent en rang d’ognon les principaux soutiens de Bouteflika : les ministres Amar Benyounes et Amar Ghoul, le président du Sénat et celui de l’APN, le secrétaire général du FLN (Front de libération national) ainsi que le patron de l’UGTA. Eux ne prendront pas la parole, laissant le soin à Sellal de dérouler un discours rodé. La voix enrouée, conséquence de trois semaines de campagne à travers les quatre coins du pays, Sellal tresse des lauriers à Bouteflika et vante les réalisations accomplies durant ses trois derniers mandats. "Bouteflika est un miracle pour l’Algérie, s’exclame-t-il. Il a sorti le pays des ténèbres vers la lumière. Il a ramené la paix, il a consacré la réconciliation nationale entre les Algériens. Même pour la qualification à la Coupe du monde, il a apporté sa baraka."
Dans la salle, certains applaudissent, scandent "One, Two, Three, Viva l’Algérie", d’autres jouent du tambour, indifférents. Sellal continue de dérouler son discours, la voie presque éteinte. "Bouteflika a accordé aux femmes leurs droits jusqu’à l’éternité, entonne-t-il encore. Il a redoré l’image du pays sur la scène internationale. Nous devons faire confiance à ce moudjahid (ancien maquisard)."
Assis à une centaine de mètres de la scène, Kamel, 50 ans, agent de sécurité au sein du groupe Haddad, spécialisé dans le BTP et principal soutien financier du président, partage les propos du directeur de campagne. Tout de même, il nuance. "Il a raison Sellal, dit-il. Bien sûr que Bouteflika est l’artisan de la paix et de la réconciliation. Il a fait beaucoup de choses pour ce pays, mais il aurait dû s’occuper de sa santé et laisser la place aux plus jeunes. Il est là depuis quinze ans. Et quinze ans, c’est trop long pour un président."
Benfils dans le viseur
Sur la scène de la Coupole, Sellal entame le dernier couplet de son intervention. Le plus virulent. En quelques allusions à peine voilées, il s’en prend au candidat rival, Ali Benflis, ancien premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika entre 2000 et 2003, déjà candidat à la présidentielle de 2004. "Nous ne permettrons à quiconque de nous menacer ou de nous faire peur, clame-t-il. Cela est inadmissible. L’urne est l’unique voie pour trancher entre les candidats en lice".
L’admonestation de Sellal fait en écho aux multiples déclarations d’Ali Benflis qui n’a eu de cesse, depuis le début de la campagne, d’avertir contre les risques de fraudes au profit du candidat Bouteflika. Elle vient surtout appuyer les propos incendiaires tenus samedi 11 avril par le chef de l’État devant le ministre espagnol des Affaires étrangères.
Ces propos du chef de l’État sont graves et dangereux pour la stabilité du pays.
Lors de cette audience dont quelques images ont été diffusées par la télévision nationale, Bouteflika accusait Benflis, sans le nommer, de faire usage de violences. "Qu'un candidat vienne menacer les walis (préfets) et les autorités", disant "de faire attention à leurs familles et à leurs enfants en cas de fraude, cela veut dire quoi ?", déclarait Bouteflika devant son hôte espagnol. Avant d’enchaîner, d’une voie presque inaudible, que les accusations de Benflis relèvent "du terrorisme à travers la télévision".
Dans le staff d’Ali Benflis, les petites phrases assassines de Bouteflika ont suscité consternation et colère. "Ces propos du chef de l’État sont graves et dangereux pour la stabilité du pays, commente un ancien ambassadeur qui a rallié le camp de Benflis. Comment Bouteflika peut-il ainsi accuser un candidat de faire usage du vocable de terrorisme alors que le pays est assis sur une poudrière ? Comment peut-il qualifier Benflis de terroriste alors même qu’il sait que des millions d’Algériens le soutiennent dans cette campagne ? Jamais, un président algérien, candidat à sa propre succession, n’a usé d’un tel langage à l’égard d’un challenger, qui plus est devant émissaire étranger."
C’est que ces échanges acrimonieux, tenus à distance entre, d’une part le chef de l’État et ses représentants, et de l’autre le candidat Ali Benflis, soulignent l’importance vitale de cette élection présidentielle pour les deux camps. Pour le clan de Bouteflika, la réélection de ce dernier le 17 avril prochain lui assurerait la présidence à vie autant qu’elle garantirait à ses alliés politiques et à ses sponsors issus de la sphère des affaires, la pérennité au pouvoir et le maintien des privilèges. Pour le camp d’Ali Benflis, une victoire de ce dernier mettrait fin à 15 ans de règne de Bouteflika et ouvrirait les voies à une transition démocratique.
Il est midi à la Coupole du 5 juillet. Après une allocution d’une trentaine de minutes, Abdelmalek Sellal et son staff quittent la salle. Les partisans de Bouteflika rejoignent les cars et les fourgons stationnés dans les parkings. La foule partie, les employés de l’entreprise privée chargée de la gestion des meetings du candidat-président démontent la scène, replient les chaises et rangent la moquette. Les portraits du chef de l’État et les affiches électorales jonchent le sol. Chauffeur de taxi venu de Msila, sur les Hauts-plateaux, Said, 62 ans, ramasse une dizaine de portraits de Bouteflika qu’il gardera en souvenir de son escapade algéroise. "Il n’y a pas mieux que Bouteflika pour tenir l’Algérie, tranche Said. Bien sûr, on aurait aimé le voir aujourd’hui dans ce meeting mais on sait que même absent, il continuera de diriger notre pays." 15042014 Jeuneafrique
|