Grâce à la téléphonie troisième génération et à la généralisation de l'internet, les citoyens algériens peuvent désormais filmer les brutalités policières. Et les dénoncer sur la Toile.
Le 20 avril dernier, lors d'un rassemblement organisé à Tizi-Ouzou, en Kabylie, pour célébrer le 34e anniversaire du Printemps berbère de 1980, des policiers en uniforme, épaulés par des collègues en civil, passent violemment à tabac des manifestants. Certains sont roués de coups de poing, de gifles et de coups de pied, d'autres sont rossés avec des matraques. Un jeune homme inconscient est traîné sur plusieurs mètres avant d'être jeté devant un fourgon. Depuis son balcon, un riverain a filmé toute la scène avec son smartphone. Quelques minutes plus tard, la vidéo est postée sur les réseaux sociaux. Aussitôt relayée par les médias nationaux et étrangers, elle provoque émoi et consternation.
Des membres de Barakat ! durement interpellés
Ces brutalités policières ont d'autant plus choqué que des incidents presque identiques s'étaient déroulés quatre mois plus tôt à Ghardaïa (600 km au sud d'Alger), théâtre de tensions communautaires. Dans le courant de janvier dernier, la vidéo d'une bastonnade, là aussi tournée à l'aide d'un téléphone portable, avait également fait le buzz, obligeant le patron de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), le général Abdelghani Hamel, à prendre des sanctions. À ces deux documents s'ajoutent des images qui ont fait le tour du monde, montrant des membres du mouvement d'opposition Barakat ! se faire durement interpeller lors de rassemblements organisés à Alger contre le quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Certes, les animateurs de Barakat ! ont été relâchés quelques heures plus tard et même autorisés à tenir leurs sit-in. Certes, encore, à Tizi-Ouzou et à Ghardaïa, des enquêtes administratives ont été diligentées, et des policiers suspendus et traduits en justice. Certes, enfin, ces scènes de violences policières demeurent des cas isolés. Mais ces vidéos, ainsi que les articles et les commentaires qui ont suivi leur diffusion, ont gravement terni l'image de cette "institution républicaine" et plongé ses responsables dans l'embarras.
C'est que la généralisation de l'internet, l'arrivée de la téléphonie de troisième génération (3G) et la prolifération des portables high-tech permettent désormais à des militants des droits de l'homme, à des blogueurs ou à de simples citoyens de filmer des bavures, puis de les dénoncer aussitôt sur la Toile. Certains vont même jusqu'à publier sur Facebook les photos des policiers incriminés, assorties d'informations susceptibles de mettre ces derniers en danger. Bref, les forces de l'ordre sont désormais sous surveillance.
Faire usage d'armes Ă feu : une hantise
Rassemblements, marches, obstructions de routes, pas un jour ne passe sans que la rue ne proteste contre le manque de logements, les pĂ©nuries d'eau, les coupures d'Ă©lectricitĂ©, des Ă©lus incompĂ©tents, ou pour obtenir des emplois. RĂ©sultat : la police est quotidiennement mise Ă rude Ă©preuve. En 2011, elle a ainsi procĂ©dĂ© Ă quelque 11 000 interventions aux quatre coins du pays. Et la hantise de la hiĂ©rarchie sĂ©curitaire est de voir les forces antiÂĂ©meute faire usage d'armes Ă feu, comme ce fut le cas lors du soulèvement du printemps 2001, qui a fait plus d'une centaine de morts en Kabylie. Pour empĂŞcher la rĂ©pĂ©tition d'un tel scĂ©nario, les autoritĂ©s ont lancĂ© le concept de gestion dĂ©mocratique des foules (GDF). Persuasion, pĂ©dagogie, psychologie, rĂ©quisitions judiciaires, non-recours aux armes lĂ©tales, c'est ainsi que les responsables de la DGSN rĂ©sument ce modus operandi, qui fonctionne plutĂ´t bien. "Les missions de police s'exercent dans le respect des droits de l'homme", aime Ă rĂ©pĂ©ter le gĂ©nĂ©ral Hamel. Les chiffres semblent lui donner raison. Depuis les "Ă©meutes du sucre et de l'huile" en janvier 2011, qui avaient fait trois morts parmi les manifestants - sans que les coupables aient Ă ce jour Ă©tĂ© identifiĂ©s -, plus aucune intervention des forces de l'ordre n'a donnĂ© lieu Ă pareille bavure. Il n'en reste pas moins que la hiĂ©rarchie sĂ©curitaire doit impĂ©rativement faire le mĂ©nage dans les rangs de la police et mettre Ă l'Ă©cart les agents au comportement brutal. Lesquels ne peuvent dĂ©sormais plus sĂ©vir Ă l'abri des regards. 19052014 Jeuneafrique
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