Qu'elle est loin l'époque où la classe politique parvenait à s'unir autour d'un "tout sauf Wade" ! En deux ans, ego et ambitions personnelles ont pris le dessus et menacent de faire exploser la majorité lors des élections locales du 29 juin.
C'est une charge qui a surpris par sa virulence. "Pour les élections locales du 29 juin, nous demandons aux Sénégalais de voter contre les listes de la coalition Benno Bokk Yakaar." Lancée lors d'une conférence de presse tenue à la mi-mai, elle vise directement les partis qui soutiennent depuis plus de deux ans l'action du président Macky Sall.
Surtout, elle n'émane pas de quelque opposant venimeux mais bien des disciples de la première heure, autrefois réunis au sein de la coalition Macky 2012. Pourfendant les "ralliés" de Benno Bokk Yakaar (BBY), ils accusent cet attelage hétéroclite de gérer le pays "avec incapacité" et réclament sa disparition.
"Mon Dieu, gardez-moi de mes amis ! Quant à mes ennemis, je m'en charge." À moins d'une semaine du scrutin municipal, l'adage reflète assez bien l'ambiance qui règne au sein de la mouvance pro-Macky. Du Fouta au Sine-Saloum, en passant par les grandes communes de l'agglomération dakaroise, la cuisine politique a en effet repris ses droits au Sénégal, avec son lot d'ambitions débridées, de querelles fratricides, de réflexes népotiques et même, parfois, d'affrontements physiques. Qu'il semble loin le temps où l'ensemble des candidats malheureux du premier tour de la présidentielle se ralliaient comme un seul homme à Macky Sall au nom du "tout sauf Wade" !
Élections locales risquées pour le pouvoir
Trois mois plus tard, au moment des législatives, la communion s'était globalement maintenue. Des accords électoraux entre l'Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse, l'Alliance pour la République (APR) de Macky Sall, le Parti socialiste (PS) d'Ousmane Tanor Dieng et le Rewmi d'Idrissa Seck avaient alors permis à la mouvance présidentielle d'écraser le Parti démocratique sénégalais (PDS) dans les urnes et de prendre le contrôle de l'Assemblée nationale.
"Déjà , aux législatives de 2012, l'APR s'était montrée déloyale avec ses alliés en trustant abusivement les listes, affirme aujourd'hui un membre du bureau politique du PS. Mais nous avions joué le jeu pour donner une majorité à Macky, car il fallait éviter de rendre le pays ingouvernable."
Deux ans plus tard, c'est dans une cacophonie difficilement dissimulable que BBY se présente devant les Sénégalais. "Ces élections locales sont risquées pour le pouvoir, estime une source diplomatique en poste à Dakar. Il règne une pagaille sans nom au niveau des listes de la majorité." Dans de nombreuses communes, les alliés d'hier avancent divisés, multipliant les candidatures concurrentes ou dissidentes.
"Pour nous, cette situation est une chance", se réjouit un membre du comité directeur du PDS, selon qui "la coalition BBY est en train d'imploser". Un diagnostic qui revient avec de plus en plus d'insistance, bien au-delà des rangs de l'opposition. "BBY est une coalition de circonstance qui n'a jamais été une coalition de gouvernement", assène la socialiste Aissata Tall Sall, avec son franc-parler coutumier. Selon le maire de Podor, "chaque parti doit pouvoir retrouver son indépendance, sa liberté d'action et son identité propre".
Il faut dire que les signaux envoyés depuis plusieurs mois par le parti présidentiel n'étaient pas de bon augure : le jeu de chaises musicales entre cadres de l'APR, soucieux de se placer en position éligible, a accouché d'une flopée de candidatures dissidentes. "Nombre d'entre eux sont frustrés de ne pas avoir obtenu les postes qu'ils convoitaient, analyse notre source diplomatique. Ils ont un tel appétit de pouvoir que Macky Sall a du mal à tenir ses troupes." "Nous aurions bien sûr préféré nous accorder sur des listes uniques, admet le Premier ministre Aminata Touré. Mais l'APR est un parti encore jeune, où les ambitions s'affirment."
Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, "Mimi" Touré se rassure en estimant qu'"au soir de l'élection il faudra additionner l'ensemble des voix qui se sont portées sur les candidats de l'APR, même dissidents, puisque tous se réclament du président de la République". Une logique arithmétique qui occulte le risque d'éparpillement du vote APR au profit de candidats concurrents, d'autant que pas moins de 2 700 listes seront en compétition.
L'état des lieux du BBY n'est guère réjouissant
En creux, ces dissidences à répétition posent aussi la question de l'autorité de Macky Sall, demeuré président de l'APR après son élection. Car même dans son fief de Fatick, dont il fut maire de 2009 à 2012, pas moins de deux listes dissidentes issues de l'APR viendront faire de l'ombre à la liste officielle.
"Le président a appelé les responsables du parti à s'unir et à se ranger derrière le candidat de la coalition BBY le mieux placé, confie l'un de ses conseillers. Mais il n'a été entendu ni dans le parti ni dans la coalition. On en tirera les conséquences après l'élection." Au lendemain du 29 juin, des têtes risquent de tomber.
En ce qui concerne BBY, l'état des lieux n'est guère plus réjouissant. Chez les alliés socialistes, malgré une sérénité de façade, la colère gronde contre la "déloyauté" des "affamés" de l'APR dans certains de leurs bastions électoraux. "Ils cherchent à nous bousculer dans les mairies que nous gérons tout en nous demandant de les soutenir en 2017, s'emporte un membre du bureau politique du PS.
À Podor ou dans le département de Dagana, ils sont allés jusqu'à s'allier avec le PDS contre nous !" Si Ousmane Tanor Dieng, qui vient d'être reconduit à la tête du PS, joue toujours officiellement la carte de l'alliance avec Macky Sall, l'insatisfaction prospère chez les cadres du parti, qui ne se voient pas demeurer des supplétifs destinés à faire réélire le chef de l'État au terme de son mandat. "Il serait inconcevable que le PS n'ait pas son propre candidat en 2017", ajoute la même source. Si la donne est différente à l'AFP, les perspectives d'implosion n'y sont pas moins réelles. En mars, son secrétaire général, Moustapha Niasse, se fendait d'un serment d'allégeance dont le zèle a fait grincer des dents : "Je ne cautionnerai aucune candidature de l'AFP face à Macky Sall. Combattre Macky Sall, c'est combattre l'AFP." Une manière de brader l'autonomie du parti et d'en faire une annexe de l'APR qui n'a pas fait que des heureux.Pour les élections locales, Moustapha Niasse a, sans surprise, joué la carte de la loyauté envers Macky Sall au détriment de son propre camp. À Guédiawaye, une ville clé de la banlieue dakaroise, l'infortuné El Hadji Malick Gakou, numéro deux de l'AFP à l'envergure de présidentiable, a préféré jeter l'éponge malgré son statut de favori pour laisser la place à un frère du président de la République, Aliou Sall, pourtant "parachuté". Reste à savoir combien de temps encore Niasse et Tanor parviendront à cantonner leurs camarades au rôle ingrat de porteurs d'eau du parti présidentiel.
La compétition est musclée
Dans de nombreuses collectivités locales, des listes conjointes APR-AFP estampillées BBY seront donc opposées, le 29 juin, à des listes dissidentes de l'APR et à des listes concurrentes menées par des édiles ralliés à BBY mais soucieux de reconduire leur mandat électif. Point d'orgue de ces duels fratricides, la campagne électorale à Grand-Yoff, une commune de Dakar, risque de laisser des séquelles : Aminata Touré est venue y défier le socialiste Khalifa Sall, maire de la capitale depuis 2009. Et le moins qu'on puisse dire est que la compétition y est musclée.
Après deux années d'exercice du pouvoir, les divisions qui déchirent la mouvance présidentielle pourraient bien lui jouer des tours le 29 juin au soir. Anticipant une possible mauvaise surprise, certains proches du chef de l'État ne font pas mystère de leur réticence à voir Macky Sall entériner une promesse faite dans l'entre-deux tours de la présidentielle de 2012 : réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans et se l'appliquer à lui-même. "Si au bout de quatre ans le président estime que son bilan est défendable devant les Sénégalais, alors il pourra remettre en jeu son mandat", estime un proche conseiller. Mais dans le cas contraire ? Au sommet du pouvoir, certains réfléchiraient à un scénario qui permettrait à Macky Sall d'aller au terme du mandat de sept ans pour lequel il a été élu sans toutefois perdre la face. "Il s'est mis la pression tout seul, il a été mal conseillé à l'époque", estime le même conseiller, qui semble considérer que dans le contexte actuel, tout compte fait, le septennat a du bon.
La bataille de Dakar
Officiellement, leurs partis sont alliés au sein de Benno Bokk Yakaar (BBY). Mais sur le terrain, la compétition entre eux vire au combat de lutte. La bataille de Dakar se jouera à Grand-Yoff entre deux poids lourds de la scène politique. D'un côté, le socialiste Khalifa Sall, natif de cette commune de 400 000 habitants où il a été élu en 1996 puis en 2009, avant de devenir cette année-là le maire de la capitale.
De l'autre, la "star" du gouvernement, le Premier ministre Aminata Touré, de l'Alliance pour la République (l'APR, le parti du président Macky Sall), qui y réside depuis vingt-trois ans. "Le bilan de mon concurrent n'est pas glorieux, Grand-Yoff est l'une des communes les plus pauvres de Dakar", tranche "Mimi" Touré. "Khalifa Sall a un bon bilan à Dakar", rétorque un cadre socialiste, selon qui "l'APR n'a pas joué le jeu" en cherchant à lui ravir cette commune stratégique pour qui prétend devenir maire de Dakar. Dans les rues de Grand-Yoff, on ne se contente pas de mots. Fin mai, des échauffourées entre militants des deux camps se sont soldées par une dizaine d'hospitalisations et des voitures caillassées. Au lendemain de l'élection, l'addition risque d'être salée pour BBY.
Si Aminata Touré s'incline, sa légitimité politique pourrait en pâtir. Dans son propre parti, où sa stature lui vaut certaines inimitiés, on laisse entendre que Grand-Yoff pourrait lui être fatal en cas d'échec. À l'inverse, en cas de victoire du Premier ministre, la pilule aurait du mal à passer au Parti socialiste, où Khalifa Sall passe pour un présidentiable. Privé de Dakar à deux ans et demi de la présidentielle de 2017, alors qu'il s'est refusé, en mai, à briguer la succession d'Ousmane Tanor Dieng à la tête du PS, il se retrouverait orphelin... 23042014 Jeuneafrique
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