L'opposition kényane veut montrer ses muscles lors d'une grande manifestation lundi à Nairobi, mais ce rendez-vous attise la peur de violences politico-ethniques dans un pays déjà à cran depuis une série d'attaques sanglantes.
"Saba Saba": la formule - "7/7" en swahili, pour 7 juillet - claque en "Une" des journaux kényans depuis des jours. C'est par ce cri de ralliement que le chef de l'opposition, Raila Odinga, a choisi d'appeler à une "manifestation de masse" lundi au parc Uhuru, en plein c?ur de la capitale, pour dénoncer la politique du gouvernement.
Une journée en forme de symbole: "Saba Saba", c'était déjà sous cette bannière que, dans les années 1990, l'opposition de l'époque avait marché pour réclamer le multipartisme.
Or, le Kenya traverse une période déjà très sensible. Il reste en effet sous le coup des attaques de la mi-juin près de la côte touristique, qui ont fait une soixantaine de morts. Les raids ont été revendiqués par les islamistes somaliens shebab, mais le président Uhuru Kenyatta a condamné des "violences ethniques aux motivations politiques" et mis en cause - sans la nommer - l'opposition.
Défait à la présidentielle de 2013, Raila Odinga veut dresser son réquisitoire envers le pouvoir: l'insécurité, mais aussi la vie chère, la corruption et des nominations dictées selon lui par des critères ethniques.
"Le Kenya est une nation apparemment en guerre contre elle-même", affirme son parti, le Cord, jugeant que les "relations interethniques" n'ont jamais été aussi "détériorées" au Kenya, première puissance économique d'Afrique de l'Est.
Le pouvoir rejette ces accusations et soupçonne l'opposition, qui demande sur tous les tons un "dialogue", de chercher en réalité le désordre.
Le gouvernement est ouvert à "une discussion honnête", a assuré le vice-président William Ruto sur un média local. Mais, a-t-il asséné, pas question d'accepter que l'opposition vienne menacer de "rendre le pays ingouvernable" si ses doléances ne sont pas satisfaites.
Pour le jour "J", la police a annoncé le déploiement de 15. 000 agents, alors que le pays est déjà en alerte par crainte des shebab liés à Al-Qaïda, décidés à punir le Kenya pour son engagement militaire dans la Somalie voisine.
Malgré ces mesures sécuritaires, et bien que de récentes - et plus modestes - manifestations de l'opposition se soient déroulées sans heurt, des habitants sont retournés ces derniers jours dans leur région d'origine, de peur que le raout de lundi, censé démarrer à midi (09H00 GMT), ne débouche sur des violences.
- Peur du "chaos" -
A Naivasha (80 km au nord-ouest de Nairobi), des familles venues travailler dans cette grande région agricole ont pris le premier car disponible cette semaine et sont allées se mettre à l'abri chez elles, au milieu de leur communauté.
"Nous quittons cette ville, car nous avons peur que le chaos n'éclate", confiait Judy Odour, une mère de deux enfants.
Célèbre pour ses champs de fleurs, la région avait été l'une des plus durement frappées par les violences qui avaient suivi la présidentielle de 2007.
Le déchaînement de haines interethniques de fin 2007-début 2008 s'était soldé par plus de 1. 200 morts. Et il vaut aujourd'hui au président Kenyatta et à son vice-président - alors dans des camps rivaux - d'être accusés de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI).
Cette vague de violences, la pire qu'ait connue le pays depuis l'indépendance de 1963, avait éclaté après que les partisans de Raila Odinga, donné perdant, avaient accusé de fraude le camp du chef de l'Etat sortant Mwai Kibaki, alors soutenu par Uhuru Kenyatta.
Aujourd'hui, "le fait que certains jugent prudent d'abandonner leur maison et de rejoindre des régions où ils se sentent plus en sécurité illustre d'une façon effrayante la peur et l'angoisse qui sont dans l'air", résume le quotidien Daily Nation, s'inquiétant du flot de discours de haine et de menaces relayés dans des tracts et sur les réseaux sociaux.
Cette poussée de fièvre rappelle aussi que, si des efforts ont été faits pour réconcilier après 2007-2008, des questions brûlantes n'ont toujours pas trouvé de réponse, notamment le sort de minorités qui se sentent marginalisées de longue date.
Samedi, une "journée de prières" interreligieuses était organisée au parc Uhuru, sur le site même de la prochaine manifestation. Pour tenter d'apaiser les passions déchaînées par le "Saba Saba". 06072014 Jeuneafrique
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