Nigeria : à Jos, des musulmans discriminés et une paix fragile
le 13/07/2014 12:35:17
Nigeria

Dans le ghetto musulman de la ville de Jos, dans le centre du Nigeria, la mosquée centrale, adossée à un marché décrépi, ne sert pas seulement de lieu de culte à cette minorité religieuse marginalisée.

Les jeunes du quartier viennent prier, mais aussi, souvent, pour des requêtes bien plus prosaïques, comme obtenir une pièce d'identité ou un certificat de résidence, des services qui devraient être assurés par le gouvernement local, explique Sani Mudi, porte-parole de l'antenne locale de la principale association musulmane du Nigeria, JNI.

Les musulmans "ont les mĂŞmes devoirs que tout le monde envers l'Etat. On paie des impĂ´ts", explique M. Mudi, "mais on est exclu Ă  tous les niveaux".

Jos, la capitale de l'Etat de Plateau, se trouve au coeur de la "middle belt", cette région-tampon entre le nord du Nigeria, majoritairement musulman, et le Sud, principalement chrétien.

Dans cette région, les chrétiens, considérés comme les "indigènes" de la région, bénéficient d'un accès prioritaire aux écoles publiques, aux postes de fonctionnaires et à d'autres avantages.

Chrétiens et musulmans sont souvent victimes de ce type de discrimination au Nigeria, dans les régions où ils sont minoritaires, mais à Jos, cela a été le point de départ de nombreux affrontements inter-religieux.

Le double attentat à la voiture piégée attribué au groupe islamiste Boko Haram, qui a fait 118 morts sur un marché de la ville le 18 mai - le plus meurtrier jamais perpétré au Nigeria - n'a pas donné lieu à une flambée de violences.

L'insurrection meurtrière de Boko Haram, qui ravage le nord-est du Nigeria depuis cinq ans, n'a certes pas de lien direct avec les violences sectaires de Jos, mais un tel attentat aurait engendré de violents affrontements entre chrétiens et musulmans dans la ville par le passé.

Les appels au calme des dignitaires religieux de tous bords semblent avoir convaincu les gangs de jeunes, qui ne sont pas descendus dans la rue cette fois. Sans doute grâce aux longs mois de dialogue entre les différentes communautés.

"Nos jeunes nous écoutent ces derniers temps", estime Rwang Dalyop Dantong, à la tête du conseil de la jeunesse berom, une ethnie majoritairement chrétienne.

Mais "si (le double attentat) avait eu lieu dans une église, il y aurait sans doute eu des représailles" tempère-t-il, admettant que Jos est toujours sur le fil du rasoir, surtout à l'approche des élections générales de février 2015, qui s'annoncent mouvementées.

- Discrimination et rancoeurs -

Au-delà des pourparlers, les autorités locales doivent cesser de discriminer les musulmans si elles souhaitent consolider cette "paix fragile", selon M. Mudi.

"Nous avons parlé et parlé, et nous en avons assez de parler", résume-t-il.

Située sur un plateau à près de 1. 500 mètres d'altitude, Jos a longtemps été une destination touristique privilégiée des expatriés d'Abuja, situé à 300 kilomètres, attirés par son climat tempéré.

Mais en août 2001, la tension est montée dans la ville, quand le gouvernement fédéral a nommé un musulman de l'ethnie haoussa à un poste important. Pour les dirigeants chrétiens de Jos, ce poste devait revenir à un des leurs.

Dans ce climat tendu, un incident a mis le feu aux poudres: une chrétienne est passée sur le trottoir d'une mosquée, sur lequel des fidèles étaient en train de prier, un vendredi, refusant d'attendre la fin de la prière. Près de 1. 000 personnes ont succombé aux violences qui ont suivi cet épisode.

D'autres affrontements ont ensuite secoué Jos en 2008 et en 2010, et les attaques perpétrées par Boko Haram, qui ont fait 33 morts le jour de Noël 2010, ont engendré un nouveau cycle de violences, faisant 200 victimes supplémentaires.

Dans les zones rurales de l'Etat de Plateau, les fermiers, majoritairement chrétiens, s'affrontent aussi régulièrement avec les éleveurs peuls, musulmans. Ces violences ont fait des dizaines de milliers de morts ces vingt dernières années selon Human Rights Watch.

Les musulmans "n'ont pas accès à certains droits et privilèges et cela a créé des rancoeurs", admet Pam Ayuba, le porte-parole du gouverneur Jonah Jang.

Mais on ne pourra jamais considérer un haoussa musulman comme un "indigène" de Plateau, tout comme un chrétien bérom sera ne sera jamais un indigène dans un Etat comme celui de Kano, au nord, dirigé par les haoussas musulmans, selon M. Ayuba.

Et tant que la constitution accordera des privilèges aux indigènes, la ségrégation perdurera, explique-t-il.
13072014
Jeuneafrique

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