Kenya : les débats enflammés mettent à nu les tensions ethniques
le 27/07/2014 15:50:16
Kenya

Le Kenya aime à se voir en union de "42 tribus" mais les débats enflammés suscités par les tueries sur sa côte ont mis à nu les tensions ethniques qui traversent le pays, sur fond de rivalités politiques.

Discours politiques belliqueux, titres alarmistes de la presse, flots de rancoeurs sur les réseaux sociaux: les raids qui ont fait une centaine de morts depuis la mi-juin près de l'archipel touristique de Lamu, sur le littoral de l'océan Indien (sud-est), ont puissamment échauffé les esprits.

"Il y a eu une vague de discours dangereux", déclare à l'AFP Nanjira Sambuli, une informaticienne de 26 ans. Elle dirige une petite équipe qui surveille et tente de déjouer ce genre de rhétorique sur la Toile, depuis les locaux spacieux de iHub, pépinière de nouvelles technologies basée à Nairobi.

Les islamistes somaliens shebab, affiliés à Al-Qaïda, ont revendiqué les massacres, disant agir en représailles à l'intervention de l'armée kényane en Somalie.

Mais le président kényan Uhuru Kenyatta a nié leur implication et dénoncé des "violences ethniques" perpétrées par des "réseaux politiques locaux".

De l'avis général, il pointait du doigt l'opposition menée par Raila Odinga, son rival de la présidentielle de 2013, soulevant du coup la controverse dans un pays où affiliations politiques et appartenances tribales se recoupent largement.

Les dernières attaques sur la côte ont surtout ciblé des zones habitées depuis des décennies par les Kikuyu, la communauté du président Uhuru Kenyatta, traditionnellement basée dans le centre du pays.

Les messages liés à ces violences et attisant les tensions sur les réseaux sociaux jouent très souvent sur "l'appartenance ethnique" même si c'est dans un "langage codé", plein de sous-entendus, indique Nanjira Sambuli, tout en soulignant que les internautes tentent de plus en plus de "contrer" ces discours.

Voulant sonner l'alarme, le gouvernement a lancé un hashtag, #StopHatespeechKenya (Halte aux propos haineux), destiné à endiguer la haine en ligne.

"L'ampleur des propos haineux et de l'incitation à la violence dans ce pays a atteint des proportions inquiétantes", explique Mary Ombara, une responsable du ministère de l'Information.

De son côté, l'Autorité en charge des communications a averti: radios et télés diffusant des messages susceptibles de "diviser le pays selon des critères ethniques" peuvent être poursuivis en justice.

Les journalistes savent qu'ils marchent sur des oeufs dès que politique et ethnie se rejoignent, d'autant que les contentieux tribaux sont largement liés à de vieux problèmes de terres.

Ferdinand Omondi, reporter sur la chaîne de télévision kényane KTN, se souvient d'avoir été accusé par un spectateur d'"incitation à la violence" parce qu'il avait fait référence, après des attaques, aux très sensibles litiges fonciers sur la côte. "C'était fou".

- Censure? -

Des hommes politiques ont aussi été accusés ces derniers temps de tenir des "propos haineux". Mais, pour certains, ce genre de soupçons peut rapidement virer à la censure.

"Qu'est-ce qui permet de distinguer de simples faits de propos haineux?", demandait Raila Odinga lors d'une interview récente à l'AFP. "Si, par exemple, vous dites que les nominations (décidées par le gouvernement) ne sont pas faites dans la justice (. . . ), vous énoncez un fait", ajoutait l'ancien Premier ministre, qui fustige une gestion "tribaliste" de l'administration.

Ces débats sont d'autant plus délicats que le pays reste traumatisé par les violences interethniques qui avaient suivi la présidentielle contestée de 2007, faisant plus de 1. 000 morts.

Elles valent au président Kenyatta et à son vice-président William Ruto d'être poursuivis pour crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI).

Après cette flambée de violences, une Commission de la cohésion et de l'intégration nationale (NCIC) a été créée pour traquer les discours incendiaires, mais elle n'a jamais réussi à faire juger personne.

Le gouvernement promet désormais une législation pour lutter contre les dérives sur les réseaux sociaux.

Les "propos haineux" ne sont que des "symptômes" et les autorités feraient mieux de "régler les problèmes de fond", réplique Nanjira Sambuli.

Les différences ethniques occupent à tous points de vue la scène: le célèbre comédien Sammy Mwangi s'apprête à jouer dans un spectacle humoristique dédié aux préjugés attachés aux Luo. Cette ethnie est l'une des plus importantes du Kenya, et celle de Raila Odinga.

"En général pour les gens la tribu n'est pas un problème, tant que la politique n'entre pas en jeu", souligne-t-il. "Le rire permet de surmonter beaucoup de barrières", assure le comédien, qui n'est pas luo mais. . . kikuyu.
27072014
Jeuneafrique

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