Présent à Washington pour le premier sommet États-Unis-Afrique, le président sénégalais a accordé une interview à "Jeune Afrique".
Il y aborde sa relation avec Barack Obama, ses attentes vis-à -vis des États-Unis pour le développement du continent, ou encore les questions d'actualité sénégalaise, comme le procès Karim Wade qui vient de s'ouvrir à Dakar.
Arrivé dimanche 3 août à Washington pour le sommet États-Unis-Afrique, Macky Sall s’apprête à enchaîner les rencontres avec ses homologues africains – ils sont une quarantaine à être déjà arrivés dans la capitale américaine – et les décideurs américains.
Dans les salons de l’hôtel Four Seasons, il a répondu aux questions de Jeune Afrique sur les objectifs de ce sommet inédit, sur sa relation particulière avec Barack Obama, ou encore sur l’actualité sénégalaise.
Jeune Afrique : En quoi ce sommet États-Unis-Afrique est-il différent des sommets France-Afrique, Union européenne-Afrique, Chine-Afrique, ou encore Inde-Afrique organisés au cours de ces dernières années ?
Macky Sall : Ce sommet États-Unis-Afrique est le premier du genre. C'est la première fois que les États-Unis et l'Afrique se retrouvent autour de thématiques communes pour réfléchir et prendre des décisions qui concernent l'avenir de leurs relations. Cela se passe au moment où l'Afrique doit surmonter des défis, dont l'un des plus grands est celui de la sécurité. Nous y travaillons déjà avec des partenaires comme la France ou l'Union européenne, mais les Etats-Unis prennent une part de plus en plus importante dans la lutte contre les groupes armés terroristes. Nous avons également des défis communs sur le volet économique, les échanges commerciaux, ou le développement des investissements américains sur le continent. Je salue au passage l'esprit d'ouverture qui a marqué la préparation de ce sommet. Le président Obama a sollicité nos avis pour voir quels étaient nos centres d'intérêt, et cela se retrouve dans le "menu" des discussions qui auront lieu ici à Washington.
Quelles sont les annonces concrètes que vous espérez à l'issue de ce sommet ?
J'attends que le président Obama consolide et renforce l'initiative Power Africa, qui aide certains pays africains dans le domaine de l’énergie à hauteur de sept milliards de dollars. Nous, Sénégalais, ne sommes pas concernés par cette première phase, mais je pense que nous intégrerons très prochainement les pays qui bénéficient de Power Africa. J'ai aussi des attentes en matière de paix et de sécurité. Nous avons essayé, à travers l'Union africaine, de mettre en place la Caric (Capacité africaine de réponse immédiate aux crises, NDLR). Mais nous rencontrons des difficultés puisqu'il faut des moyens et de l'entrainement. Nous ne pourrons véritablement mettre en œuvre ces objectifs qu'avec l'appui de certains partenaires, dont les États-Unis. Outre ces questions de sécurité, nous espérons aussi des annonces sur l'énergie et les ressources humaines à la fin de ce sommet.
Vous êtes le seul chef d'État africain à avoir reçu et à avoir également été reçu par Barack Obama. Estimez-vous avoir une relation privilégiée avec le président américain ?
Il n'y a pas une relation d'amitié, mais plutôt une relation d'estime réciproque. Cela découle peut-être du fait que nous sommes nés la même année (1961, NDLR) et que nous sommes de la même génération. Je pense aussi qu'il a apprécié la politique que j'ai mise en œuvre dès mon élection, et qui correspond à nos convictions communes en matière de démocratie et de bonne gouvernance. Aujourd'hui, il règne un climat de fraternité entre nous.
La politique africaine de Barack Obama est-elle assez ambitieuse ?
Il a véritablement un intérêt croissant pour l'Afrique. Pendant son premier mandat, les gens lui ont reproché de ne pas avoir fait grand-chose. Mais il ne pouvait pas faire autrement que de s'occuper de son pays et d’assurer les conditions de sa réélection. Aujourd'hui, les actes d’Obama en matière de politique africaine sont bien là : la poursuite du Millenium challenge, l'initiative Power Africa, et maintenant ce sommet historique. Ce sont autant de choses qui resteront pour la postérité.
Vous qui le connaissez personnellement, avez-vous le sentiment qu'il comprend l'Afrique ?
Le président Obama ne comprend certainement pas parfaitement l'Afrique mais il a au moins la volonté de comprendre. Il a dit, lors de son séjour à Dakar, que Nelson Mandela avait marqué sa vie. Il a ainsi tenu à emmener ses filles à Robben Island, pour qu'elles comprennent sa philosophie. C'est quelqu'un qui essaie de se rapprocher de ses origines africaines. Vous savez, l'Afrique est tellement compliquée que nous-mêmes ne maitrisons pas forcément sa grandeur, sa complexité ou encore sa diversité. Nous ne pouvons donc pas lui faire ce procès.
Comment interprétez-vous l'absence d'entretiens bilatéraux entre Barack Obama et les chefs d'État et de gouvernement africains lors de ce sommet ?
Je ne suis pas sûr qu'il n'y aura pas d'entretiens bilatéraux. Vous savez, tout est une question d'approche et de perception. Pendant deux jours, le président Obama va rencontrer ses homologues. Les entretiens se tiendront pendant les déjeuners, pendant les réunions, dans les couloirs... Il n'y a pas de refus d'échanger en tête à tête. Ses conseillers sont en relation avec nous. Nous dirons ce que nous aurons à dire.
Vous avez fait une promesse emblématique pendant l'entre-deux tours de la présidentielle de 2012 : réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans et vous y plier. Mais depuis, les Sénégalais attendent de savoir si la prochaine présidentielle aura lieu en 2017 ou en 2019. Allez-vous réduire la durée de votre mandat ?
Je tiens toujours mes promesses. Certains sont pressés que je fasse cette réforme rapidement, ce que je n'entends pas faire. Nous sortons des élections locales, il y a à peine un mois. Je n'ai pas envie de replonger tout de suite le pays dans une nouvelle campagne électorale. Quand aurons-nous le temps de travailler ? Je suis élu pour un mandat que j'exerce.
Donc, la prochaine présidentielle aura lieu en 2019 ?
2019 serait le terme des sept ans. J'ai voulu ramener mon mandat à 2017. Je saisirai le peuple au moment venu.
Vous avez choisi de faire de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), en sommeil depuis 1984, le bras armé de la traque aux biens mal acquis. Depuis, cette cour est accusée, notamment par des ONG, de ne pas mener un procès équitable dans l'affaire Karim Wade. Cette opération mains propres n'est-elle pas en train de se retourner contre vous ?
Le Sénégal a décidé de marquer une rupture par rapport à la gouvernance. Cette rupture s'est traduite par la réactivation d'une cour instaurée en 1981 par le président Abdou Diouf. Je l'ai simplement fait en nommant des magistrats, pour qu'ils reprennent du service. Sur cette base, des enquêtes ont été menées et des accusations faites, conformément aux procédures de la CREI. Il y a eu des recours qui ont été tranchés par le Conseil constitutionnel. J’ai décidé de défendre les intérêts publics de mon pays. Sur ce plan, je resterai inflexible. Il n'y pas d'acharnement, sur qui que ce soit. Vous seriez surpris par le nombre de dossier auxquels je n'ai pas donné suite.
Le procès de Karim Wade serait donc exemplaire ?
Oui. Il y a une défense et des parties civiles. Nous sommes en démocratie. Ce n'est ni à moi ni à qui que ce soit de porter un jugement sur ce procès. Il faut laisser à la justice le soin de juger.
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Propos recueillis par Pierre Boisselet et Benjamin Roger, à WashingtonPrésent à Washington pour le premier sommet États-Unis-Afrique, le président sénégalais a accordé une interview à "Jeune Afrique". Il y aborde sa relation avec Barack Obama, ses attentes vis-à -vis des États-Unis pour le développement du continent, ou encore les questions d'actualité sénégalaise, comme le procès Karim Wade qui vient de s'ouvrir à Dakar.
Arrivé dimanche 3 août à Washington pour le sommet États-Unis-Afrique, Macky Sall s’apprête à enchaîner les rencontres avec ses homologues africains – ils sont une quarantaine à être déjà arrivés dans la capitale américaine – et les décideurs américains.
Dans les salons de l’hôtel Four Seasons, il a répondu aux questions de Jeune Afrique sur les objectifs de ce sommet inédit, sur sa relation particulière avec Barack Obama, ou encore sur l’actualité sénégalaise.
Jeune Afrique : En quoi ce sommet États-Unis-Afrique est-il différent des sommets France-Afrique, Union européenne-Afrique, Chine-Afrique, ou encore Inde-Afrique organisés au cours de ces dernières années ?
Macky Sall : Ce sommet États-Unis-Afrique est le premier du genre. C'est la première fois que les États-Unis et l'Afrique se retrouvent autour de thématiques communes pour réfléchir et prendre des décisions qui concernent l'avenir de leurs relations. Cela se passe au moment où l'Afrique doit surmonter des défis, dont l'un des plus grands est celui de la sécurité. Nous y travaillons déjà avec des partenaires comme la France ou l'Union européenne, mais les Etats-Unis prennent une part de plus en plus importante dans la lutte contre les groupes armés terroristes. Nous avons également des défis communs sur le volet économique, les échanges commerciaux, ou le développement des investissements américains sur le continent. Je salue au passage l'esprit d'ouverture qui a marqué la préparation de ce sommet. Le président Obama a sollicité nos avis pour voir quels étaient nos centres d'intérêt, et cela se retrouve dans le "menu" des discussions qui auront lieu ici à Washington.
Quelles sont les annonces concrètes que vous espérez à l'issue de ce sommet ?
J'attends que le président Obama consolide et renforce l'initiative Power Africa, qui aide certains pays africains dans le domaine de l’énergie à hauteur de sept milliards de dollars. Nous, Sénégalais, ne sommes pas concernés par cette première phase, mais je pense que nous intégrerons très prochainement les pays qui bénéficient de Power Africa. J'ai aussi des attentes en matière de paix et de sécurité. Nous avons essayé, à travers l'Union africaine, de mettre en place la Caric (Capacité africaine de réponse immédiate aux crises, NDLR). Mais nous rencontrons des difficultés puisqu'il faut des moyens et de l'entrainement. Nous ne pourrons véritablement mettre en œuvre ces objectifs qu'avec l'appui de certains partenaires, dont les États-Unis. Outre ces questions de sécurité, nous espérons aussi des annonces sur l'énergie et les ressources humaines à la fin de ce sommet.
Vous êtes le seul chef d'État africain à avoir reçu et à avoir également été reçu par Barack Obama. Estimez-vous avoir une relation privilégiée avec le président américain ?
Il n'y a pas une relation d'amitié, mais plutôt une relation d'estime réciproque. Cela découle peut-être du fait que nous sommes nés la même année (1961, NDLR) et que nous sommes de la même génération. Je pense aussi qu'il a apprécié la politique que j'ai mise en œuvre dès mon élection, et qui correspond à nos convictions communes en matière de démocratie et de bonne gouvernance. Aujourd'hui, il règne un climat de fraternité entre nous.
La politique africaine de Barack Obama est-elle assez ambitieuse ?
Il a véritablement un intérêt croissant pour l'Afrique. Pendant son premier mandat, les gens lui ont reproché de ne pas avoir fait grand-chose. Mais il ne pouvait pas faire autrement que de s'occuper de son pays et d’assurer les conditions de sa réélection. Aujourd'hui, les actes d’Obama en matière de politique africaine sont bien là : la poursuite du Millenium challenge, l'initiative Power Africa, et maintenant ce sommet historique. Ce sont autant de choses qui resteront pour la postérité.
Vous qui le connaissez personnellement, avez-vous le sentiment qu'il comprend l'Afrique ?
Le président Obama ne comprend certainement pas parfaitement l'Afrique mais il a au moins la volonté de comprendre. Il a dit, lors de son séjour à Dakar, que Nelson Mandela avait marqué sa vie. Il a ainsi tenu à emmener ses filles à Robben Island, pour qu'elles comprennent sa philosophie. C'est quelqu'un qui essaie de se rapprocher de ses origines africaines. Vous savez, l'Afrique est tellement compliquée que nous-mêmes ne maitrisons pas forcément sa grandeur, sa complexité ou encore sa diversité. Nous ne pouvons donc pas lui faire ce procès.
Comment interprétez-vous l'absence d'entretiens bilatéraux entre Barack Obama et les chefs d'État et de gouvernement africains lors de ce sommet ?
Je ne suis pas sûr qu'il n'y aura pas d'entretiens bilatéraux. Vous savez, tout est une question d'approche et de perception. Pendant deux jours, le président Obama va rencontrer ses homologues. Les entretiens se tiendront pendant les déjeuners, pendant les réunions, dans les couloirs... Il n'y a pas de refus d'échanger en tête à tête. Ses conseillers sont en relation avec nous. Nous dirons ce que nous aurons à dire.
Vous avez fait une promesse emblématique pendant l'entre-deux tours de la présidentielle de 2012 : réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans et vous y plier. Mais depuis, les Sénégalais attendent de savoir si la prochaine présidentielle aura lieu en 2017 ou en 2019. Allez-vous réduire la durée de votre mandat ?
Je tiens toujours mes promesses. Certains sont pressés que je fasse cette réforme rapidement, ce que je n'entends pas faire. Nous sortons des élections locales, il y a à peine un mois. Je n'ai pas envie de replonger tout de suite le pays dans une nouvelle campagne électorale. Quand aurons-nous le temps de travailler ? Je suis élu pour un mandat que j'exerce.
Donc, la prochaine présidentielle aura lieu en 2019 ?
2019 serait le terme des sept ans. J'ai voulu ramener mon mandat à 2017. Je saisirai le peuple au moment venu.
Vous avez choisi de faire de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), en sommeil depuis 1984, le bras armé de la traque aux biens mal acquis. Depuis, cette cour est accusée, notamment par des ONG, de ne pas mener un procès équitable dans l'affaire Karim Wade. Cette opération mains propres n'est-elle pas en train de se retourner contre vous ?
Le Sénégal a décidé de marquer une rupture par rapport à la gouvernance. Cette rupture s'est traduite par la réactivation d'une cour instaurée en 1981 par le président Abdou Diouf. Je l'ai simplement fait en nommant des magistrats, pour qu'ils reprennent du service. Sur cette base, des enquêtes ont été menées et des accusations faites, conformément aux procédures de la CREI. Il y a eu des recours qui ont été tranchés par le Conseil constitutionnel. J’ai décidé de défendre les intérêts publics de mon pays. Sur ce plan, je resterai inflexible. Il n'y pas d'acharnement, sur qui que ce soit. Vous seriez surpris par le nombre de dossier auxquels je n'ai pas donné suite.
Le procès de Karim Wade serait donc exemplaire ?
Oui. Il y a une défense et des parties civiles. Nous sommes en démocratie. Ce n'est ni à moi ni à qui que ce soit de porter un jugement sur ce procès. Il faut laisser à la justice le soin de juger.
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Propos recueillis par Pierre Boisselet et Benjamin Roger, Ã Washington 05082014 Jeuneafrique
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