Alors que Kisangani, dans le nord-est de la RDC, s’apprête à accueillir temporairement des ex-rebelles FDLR, le climat est tendu entre société civile et autorités militaires. Sur place, le général Jean-Claude Kifwa dicte sa loi, tambour battant. Portrait.
"Action, réaction." À Kisangani, le commandant de la 9e région militaire des Forces armées de la RDC (FARDC), le général Jean-Claude Kifwa Kambili, a fait sienne la loi du physicien anglais Newton. Le 11 août, il a rappelé aux acteurs de la société civile qu’il leur interdisait de manifester contre le cantonnement temporaire dans leur ville d’ex-rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), volontaires pour le désarmement. La semaine précédente, lors d’une de ses parades militaires retransmises sur les radios locales, il avait même promis de "tirer sur quiconque inciterait la population à se révolter"…
"Action, réaction." Dès son arrivée en 2007 en Province orientale, Jean-Claude Kifwa a appliqué le même principe. Faisant fouetter trois magistrats militaires insoumis. Présentant à la presse des présumés délinquants ou rebelles avant un hypothétique procès. Réagissant au quart de tour dans les médias quand il est accusé de laisser ses hommes ériger des barrières illégales pour rançonner les citoyens. Fin 2012, il avait apporté "un démenti catégorique" après avoir été cité dans un rapport d’experts de l’ONU à propos de la vente d’armes à différents groupes armés.
"Dur à maîtriser"
Aujourd’hui encore, des membres de la société civile qui, pour certains d’entre eux, ont rencontré les experts de l’ONU en 2012, l'accusent d’être un homme influent dans beaucoup de trafics (minerais, cigarettes, braconnage, etc.). Comment, avec une telle réputation, le général Kifwa est-il parvenu à se maintenir en poste ? "Rien ne peut m’arriver !", fanfaronne parfois l’intéressé devant des acteurs de la société civile. Surnommé "Tango Tango", comme bon nombre de militaires passés par les services de renseignements, il lui arrive aussi de faire état de sa proximité avec le chef de l’État. Et, comme pour entretenir sa légende personnelle, de raconter comment il a appris les bases de son métier en Angola, puis au Rwanda. Il aurait ensuite intégré la rébellion, puis l’armée nationale de Kabila père lorsque ce dernier s'empara du pouvoir en 1997.
Selon nos sources, il aurait assuré avoir été le premier commandant de la garde républicaine, avant de parfaire sa formation militaire en Chine, puis de revenir à Kinshasa avec Kabila fils. Mais, joint au téléphone par Jeune Afrique, le général n'a pas souhaité s'exprimer ni commenter aucune de ces informations. Une chose est sûre : c'est avec un carnet d’adresses bien rempli et de solides appuis qu'il a débarqué en 2007 à Kisangani. Depuis, il ne semble reconnaître aucune autorité provinciale. "Il est dur à maîtriser de par sa personnalité et son statut. Il dépend du ministère de la Défense. Nous n’avons aucun pouvoir de le muter", confie un ministre de la Province orientale.
Main de fer
Suite au passage à Kisangani, fin juillet dernier, de Lambert Mende, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, le général Kifwa se dit désormais en mission pour cantonner les ex-FDLR et sécuriser les populations. Quitte à imposer d'une main de fer sa volonté aux populations. Et pour l'instant, Lambert Mende lui apporte un soutien total : "Le général Kifwa fait son travail. Le gouvernement a donné des instructions très fermes à l’armée. On ne discute pas, on ne fait pas de publicité sur cette opération militaire."
Toutefois, face à l'opposition grandissante à ses méthodes pour le moins musclées, le général, fin stratège, multiplie les rencontres avec la société civile et les médias pour tenter d’apaiser les esprits. "Je fréquente le général depuis sept ans. Certaines semaine, il tient deux points presse !", apprécie Ernest Mukuli, rédacteur en chef du journal Mongongo et coordonateur de l’ONG Mepad (Médias pour la paix et la démocratie).
"Il a le sens du dialogue ainsi qu'une capacité d’analyse et… d’affrontements. Ce n’est pas un général de bureau. Sur le terrain, il fait face aux manifestants", ajoute Dismas Kitenge, président du Groupe Lotus, une ONG locale et vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). "Action, réaction." À moins d’une promotion vers une autre destination, le général Kifwa n’a pas fini de faire sa loi et celle de Newton à Kisangani… 23082014 Jeuneafrique
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