À quelques jours du déploiement de la Minusca, beaucoup d'observateurs espèrent que cette énième mission de l'ONU en Centrafrique - qui en compte plus d'une dizaine ces dernières décennies - ne sera pas une "intervention superficielle" comme les précédentes.
Comment faire pour que la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (Minusca) ne soit pas, comme les précédentes missions onusiennes dans le pays, un échec ? D'ici le 15 septembre, près de 7 600 Casques bleus - dans un premier temps - prendront part à cette opération. La plupart sont déjà présents sur le sol centrafricain dans le cadre de la force africaine Misca, qui passera sous pavillon ONU.
Avant la Minusca, il y a eu la Misab, la Minurca, le Bonuca, la Fomuc, la Micopax, etc… Conséquence d'une histoire politique mouvementée, la Centrafrique est en effet championne des interventions militaires internationales en tout genre sur son sol - plus d'une dizaine. Sous le drapeau de l'ONU, de l'Union africaine ou d'organisations régionales, aucune n'a permis, jusqu'ici, de sortir durablement le pays du marasme.
La Minusca doit aller plus loin
Selon son mandat, la Minusca aura pour mission de protéger les populations, soutenir la transition politique, désarmer les ex-combattants, aider à la distribution de l'aide humanitaire et à la protection des droits de l'homme. Mais pour beaucoup d'observateurs, il faut cette fois aller plus loin. Car après des décennies d'incurie politique, puis le désastreux passage aux affaires de l'ex-rébellion Séléka (mars 2013-janvier 2014) qui a mis le pays à feu et à sang, la Centrafrique est aujourd'hui en ruines.
Début 2014, le diplomate français Didier Niewiadowski, longtemps en poste à Bangui, dressait dans une étude un constat accablant : la Centrafrique n'est même plus un État fantôme, elle est devenue "un État fictif". "L'État n'existe plus dans ce pays. On est face au néant", renchérit un autre diplomate occidental. "Il va falloir tout repenser, tout reconstruire. Et les Centrafricains n'ont pas les capacités pour cela, disons-le clairement".
Pourtant, face aux crises successives, la réponse internationale s'est à chaque fois "limitée à trois éléments importants mais insuffisants : une présence militaire, une forte assistance humanitaire et une aide budgétaire pour assurer la survie de l'administration", explique dans un récent rapport l'International Crisis group (ICG). De même, l'intervention actuelle des 6 000 soldats de la Misca et de 2 000 militaires français "pare au plus pressé et continue d'appréhender la crise à travers un prisme sécuritaire".
"La protection des civils est certes importante", mais cette attitude condamne la communauté internationale à l'échec en "répétant des interventions superficielles qui ne traitent pas la principale cause de la crise : la prédation structurelle", écrit l'ICG. "Les précédentes interventions ont toutes échoué car elles ont ignoré ce problème structurel de la prédation comme mécanisme de pouvoir, sous sa forme étatique (banditisme d'État à travers la corruption, les pillages et la 'mise en coupe réglée du Trésor public' notamment) comme contre-étatique (les groupes armés)", détaille le rapport.
"Ressusciter l'État centrafricain"
Il faut donc aujourd'hui une intervention internationale à la hauteur de l'enjeu, selon l'ICG : "Il est indispensable de ressusciter l'État centrafricain comme acteur", qui devra "poser des actes effectifs aux yeux de la population".
Partenariat, cogestion, curatelle, mise sous tutelle... Ce nouveau partenariat reste à définir entre les dirigeants de la transition et la communauté internationale, lasse de cette interminable crise.
Pour Didier Niewiadowski, les vieilles recettes ne marcheront pas et il faudra faire preuve d'imagination. Il sera même crucial de "reconsidérer le cadre de l'État unitaire centralisé", en travaillant plutôt sur une forte décentralisation et des régions plus autonomes, tout en prenant en compte la dimension transfrontalière de la crise.
Et surtout, il faut éviter de "s'en remettre à des échéances électorales" précipitées qui "donneraient certes bonne conscience (...) mais risqueraient de remettre en selle les politiciens qui ont participé au désastre actuel", souligne le diplomate.
La transition actuelle doit s'achever d'ici février 2015, avec l'organisation d'élections présidentielle et législatives. "Ces élections ne sont clairement pas la priorité. D'ailleurs, personne n'en parle à Bangui", observe un analyste régional. "L'organisation des élections n'équivaut pas à une sortie de crise", rappelle ICG, qui avertit : "une opération de maintien de la paix n’est pas une stratégie mais un outil". 03092014 Jeuneafrique
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