Des rangs de l'extrême gauche marocaine au monde feutré de l'ONU en passant par Amnesty, l'envoyé spécial de Ban Ki-moon au Yémen n'a jamais transigé avec ses convictions.
À 57 ans, Jamal Benomar n'est pas près de prendre sa retraite internationale. "Tu es ma dernière chance de réussir une mission onusienne", lui aurait soufflé Ban Ki-moon, qui voudrait terminer son second mandat sur un succès diplomatique dans un pays arabe. Depuis avril 2011, Benomar coordonne les efforts de l'ONU pour éviter que le Yémen ne sombre dans le chaos. D'abord conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour ce pays pauvre de la péninsule Arabique, où un soulèvement populaire a poussé au départ le président Ali Abdallah Saleh, il a ensuite été nommé envoyé spécial, en août 2012, avec rang de secrétaire général adjoint.
Dans le monde feutré de l'ONU où les ambitions sont nombreuses et les postes très convoités, ce Rifain originaire de Nador détonne à plus d'un titre. Véritable workaholic (drogué du travail) selon un collaborateur, il a réussi à tenir la conférence du dialogue national (mars 2013-janvier 2014) tout en prêtant l'oreille à toutes les factions. Il s'est imposé comme l'homme de bonne volonté, discret mais efficace, enchaînant les journées de seize heures, loin de la moyenne onusienne. "C'est un politique qui sait parler aux politiques. Le Yémen est un panier de crabes, lui, avec sa "poker face", reste au-dessus de la mêlée", résume un journaliste sur place.
Il est aussi le dernier survivant de la génération des émissaires onusiens dans les pays du Printemps arabe. Le Libanais Tarek Mitri vient de rendre son tablier en Libye, la Syrie a usé deux diplomates d'expérience : l'ancien secrétaire général Kofi Annan et l'Algérien Lakhdar Brahimi. Et, contrairement à ceux-là , et à d'autres - le Tunisien Kamel Morjane, l'Égyptien Boutros Boutros-Ghali -, Benomar n'a pas atterri à l'ONU après une carrière diplomatique. Il n'a jamais travaillé pour le gouvernement marocain. Ancien militant d'extrême gauche, "prisonnier de conscience" adopté par Amnesty, il s'est exilé en février 1985, quittant le royaume à bord d'une patera. Il n'y est retourné que tardivement, toujours pour des affaires privées.
En réalité, pour l'administration onusienne, Benomar est un sujet de Sa Majesté britannique. "C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles on ne l'a pas vu venir. Il n'est pas candidat au poste de secrétaire général", confie une source onusienne. Une tradition non écrite veut en effet que le secrétaire général ne soit pas un ressortissant de l'un des pays membres permanents du Conseil de sécurité.
Le Makhzen a multiplié les appels du pied
"Benomar n'est pas fâché avec le Maroc, explique l'un de ses proches, il est très attaché à son pays." Il y est revenu en 2005 pour l'enterrement de sa mère et il y retourne régulièrement pour des vacances. Deux séminaires de son équipe de Sanaa se sont d'ailleurs tenus à Skhirat, non loin du palais préféré de Hassan II. Mais il n'a pas soldé ses comptes avec le Makhzen. Expert en justice transitionnelle, il n'a pas touché l'indemnisation de l'Instance Équité et Réconciliation (IER), présidée par son ancien camarade Driss Benzekri.
Sa position a été constante : pour tourner la page, l'État marocain doit présenter ses excuses aux victimes des années de plomb. Le contentieux est ancien. En 1994, il est directeur au Haut-Commissariat aux droits de l'homme, à Genève, quand il se retrouve nez à nez avec le commissaire Kaddour Yousfi, venu présenter le rapport du Maroc sur la torture. "Pendant huit mois, à Derb Moulay Cherif, Yousfi m'a torturé", rapporte Benomar dans les colonnes du magazine TelQuel.
Même s'il ne travaille pas sur le dossier marocain, le Rifain ne peut laisser passer l'affront. Les délégations sont alertées, un sit-in organisé devant le palais Wilson. Pour Rabat, c'est un désastre en matière d'image. Depuis le nouveau règne, le Makhzen a multiplié les appels du pied à l'endroit de Benomar, qui résiste. Le Rifain est rebelle. 01102014 Jeuneafrique
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