Avec une bonne dose d'assurance acquise au fil de ses succès dans l'industrie cosmétique, le fondateur de Biopharma se lance dans l'agroalimentaire. Un secteur qu'il pense largement sous-exploité.
"On ne peut entreprendre sans ambition", pose Francis Nana Djomou, 56 ans, patron des laboratoires Biopharma. Fixant son interlocuteur du regard, derrière ses fines lunettes rectangulaires, il semble vouloir l'envoûter.
Poussé par cette envie de réussir, il s'est attaqué au monopole du géant helvétique Nestlé sur le marché camerounais des bouillons alimentaires, qui pèse près de 40 milliards de F CFA (environ 61 millions d'euros). Avec FooDis, sa nouvelle entreprise, il s'est allié à l'espagnol Gallina Blanca, dans un partenariat technique et commercial pour distribuer et importer ces produits. Depuis novembre, il a ainsi relancé le cube Jumbo, qui figure désormais sur les étals des commerçants aux côtés de Maggi. "C'est un marché très effervescent. Nous avons donc décidé, après étude, d'en conquérir quelques parts", avance l'homme d'affaires d'une voix à peine audible.
Après s'être imposé comme leader sur le marché camerounais de la cosmétique, dont le chiffre d'affaires global s'élève à plus de 150 milliards de F CFA annuels, le directeur général de Biopharma - une trentaine de marques, plus de 80 références - veut donc faire de l'agroalimentaire son prochain terrain de chasse.
Francis Nana Djomou prévoit de miser 15 milliards de F CFA sur les cinq prochaines années. Bientôt, il produira localement ses propres bouillons alimentaires, dans une usine qui devrait démarrer ses activités d'ici quelques semaines dans la banlieue ouest de Douala. À la clé, assure-t-il, "la création d'un millier d'emplois".
Et l'homme d'affaires, natif de Bangou en pays bamiléké, ne compte pas s'arrêter là . Le secteur agroalimentaire représente pour lui une "niche de croissance peu exploitée en dépit du potentiel démographique du continent et de l'abondance de terres arables". Il prépare aussi le lancement d'Elim Beverage, un projet de plus de 9 milliards de F CFA qui se spécialisera, avec l'appui d'un autre partenaire ibérique (dont il refuse pour l'instant de communiquer le nom), dans la production de jus de fruits. "Nous explorons toutes les opportunités de diversification. Grâce à la loi sur les incitations à l'investissement de 2013, les conditions se sont considérablement améliorées au Cameroun", explique l'industriel.
Non encarté
Déjà grand exportateur, vers plus de 20 pays du continent, avec Biopharma, ce fils de gendarme compte aller aussi loin avec ses nouveaux produits. Convaincu de la capacité du Cameroun et des États africains à développer un véritable tissu industriel, il affiche clairement son opposition à l'accord de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne, récemment ratifié par le Parlement camerounais, qui préconise une ouverture des marchés du continent. "Il nous réduira à l'état de consommateurs, se désole-t-il. Nous aurions dû travailler à l'amélioration des facteurs de compétitivité tels que les coûts de l'électricité, du téléphone, etc., au lieu de nous précipiter vers cette ratification."
Du jeune entrepreneur qu'il était au début des années 1990 au grand patron exprimant aujourd'hui librement son opinion sur les choix des dirigeants de son pays, faisant figure d'exception dans le milieu des affaires camerounaises car non encarté au RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti au pouvoir), que de chemin parcouru !
Tout commence en 1993. Master en management et gestion des entreprises et DESS en communication des échanges de la Sorbonne en poche, Francis Nana Djomou fait son retour dans un Cameroun en plein marasme économique. Faute d'avoir trouvé un emploi, il se lance dans la distribution et la maintenance informatique. Ses affaires marchent plutôt bien, mais le jeune chef d'entreprise doit composer avec des départs récurrents au sein de ses effectifs. "Mes ingénieurs avaient tendance à partir au bout d'une année pour monter leur propre boîte. Je trouvais cela décourageant de reprendre à chaque fois le processus", avoue-t-il.
Nana Djomou se tourne alors vers l'importation de cosmétiques et représente localement des marques comme Pierre Fabre, Vegebom et Continental - des produits trop onéreux pour la majeure partie des Camerounais. Élevé par un oncle commerçant, "trésorier" de sa famille dès l'âge de 10 ans, il perçoit la brèche et s'y engouffre en créant les laboratoires Biopharma. Avec des prix à la portée de toutes les bourses - entre 1 000 et 2 500 F CFA - et une communication soutenue, la réussite est au rendez-vous. Le groupe Biopharma, un investissement de plus de 30 milliards de F CFA et près de 500 employés, est désormais le leader du marché camerounais de la dermo-cosmétique avec plus de 20 % de parts de marché.
Condescendance "L'apport fondamental de Francis a été de nous convaincre que nous pouvions rivaliser avec les multinationales sur un marché aussi concurrentiel", admet Michel Nkenfack, qui dirige les laboratoires camerounais Lincloe et préside l'Association nationale des promoteurs des produits cosmétiques (Anaproc).
L'ambitieux Camerounais a bien sûr rencontré quelques écueils. L'année dernière, une pétition a par exemple été lancée sur internet contre une publicité de l'un de ses produits, accusée de faire l'apologie de la peau blanche.
Réponse du grand patron, un brin condescendant : "Nous avons accueilli cette campagne avec humour, et elle n'a pas affecté notre activité. Car les gens ne savent pas de quoi ils parlent." Il faut dire que le succès lui donne des ailes. Une filiale de Biopharma devrait ouvrir prochainement en Côte d'Ivoire, avec pour objectif de renforcer les positions du groupe en Afrique de l'Ouest. Et deux autres antennes, au Nigeria ainsi qu'à Pointe-Noire (Congo) - pour conquérir la RD Congo, l'Angola et même l'Afrique australe -, sont déjà dans les tuyaux.
Écrira-t-il la suite de sa Âsuccess-story dans l'agroalimentaire ? Francis Nana Djomou n'en doute pas une seconde. Dans son entreprise, il pourra compter pour cela sur Yvette, son Ă©pouse, contaminĂ©e elle aussi par le virus des affaires. Selon un proche, monsieur serait derrière les entreprises de sa femme - Cecec (microfinance) et Sodirex (distribution des cosmĂ©tiques). Mais dans les affaires du couple, très en vue Ă Douala, l'opinion de madame compte Ă©normĂ©ment. 04102014 Jeuneafrique
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