Égypte : comment Sissi fait rentrer les universités dans le rang
le 04/10/2014 13:45:27
Égypte

Les autorités égyptiennes ont décidé de reporter le début de la nouvelle année universitaire de plus d’un mois. Dans le même temps, le gouvernement accentue la répression sur les étudiants et les professeurs d’universités, par crainte d’une reprise des manifestations anti-Sissi.

Pas de bal de voiles colorés ni de pochettes neuves à la sortie des facultés, pas de papotages dans les couloirs d’Al-Azhar. En ce mois de septembre, le monde universitaire égyptien semble bien atone. Censée débuter il y a plus de trois semaines, la rentrée a été repoussée de nombreuses fois. Officiellement, on invoque la rénovation des infrastructures, qui ne seraient toujours pas en mesure d’accueillir les étudiants après les heurts avec les forces de l'ordre qui ont causé la mort de 16 d'entre eux l’année dernière.

Mais dans les cafés ou les futurs diplômés tuent le temps, on ne fait pas vraiment preuve d'optimisme. Si certains attendent avec impatience le début de l’année scolaire, d’autres n’ont pas eu l’autorisation de s’inscrire à la fac. Le 11 septembre dernier, le ministre des Études supérieures, Al-Sayed Abdul Khaleq, a annoncé que les étudiants affiliés à des activités politiques ou soupçonnés d’avoir pris part à des manifestations contre le régime seraient expulsés. Une décision visant la jeunesse révolutionnaire hostile au président Abdelfattah al-Sissi, les proches des Frères musulmans mais aussi tous les turbulents susceptibles d’insuffler des envies revendicatives au sein des campus.

L'indépendance des universités en question

"On m’a refusé l’inscription cette année à cause des mes idées révolutionnaires", affirme Youssof Salhen, membre du mouvement des Étudiants contre le coup d’État, réputé pro-Morsi. "C’est le genre d’annonces à laquelle on s’attendait, notre régime veut faire taire toutes les formes d’opposition, particulièrement les manifestations étudiantes".

Mais les étudiants ne sont pas les seuls à subir la répression organisée cette fois en amont d'éventuels débordements. Il y a quelques jours, les autorités ont également approuvé un nouvel amendement de "régulation du personnel des universités". Si la loi 49.1972 qui régit les activités des universités reste en grande partie inchangée, cette modification prévoit l’ajout d’un paragraphe qui stipule que les chefs d’universités sont autorisés à "expulser quelconque membre de l’administration ou du personnel, sans décision de justice préalable et sans charge définie". Une annonce qui survient trois mois après la publication d’un décret réintroduisant la nomination directe des chefs d’université par le gouvernement.

"Ces textes constituent une violation très grave de l’indépendance des universités", a réagi l’Association pour la Liberté de pensée et d’expression, qui pointe du doigt le non-respect de l’article 21 de la Constitution, relatif à l’indépendance des institutions éducatives. "La déclaration de Lima pour la liberté académique et l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur de 1988 stipule qu’ 'aucun membre de la communauté universitaire ne doit être rejeté sans un procès équitable devant un organe démocratiquement élu de la communauté universitaire'", rappelle également l’organisation.

Abus de pouvoir et arbitraire

"Élargir ce type de prérogatives mènera automatiquement à de l’abus de pouvoir et à un exercice arbitraire", insiste quant à lui Hani El-Husseiny, professeur de sciences et membre du Mouvement du 9-Mars, groupe de professeurs d’université qui milite pour l’indépendance des facultés et contre la corruption dans l’éducation. Car le nouveau décret donne un pouvoir absolu aux présidents proches du régime, exposant ainsi les professeurs à la menace constante d'une décision qui les prive de leurs revenus, de leur liberté de recherche et d’étude mais aussi de discussions et de débats avec leurs étudiants. Une menace, en somme, qui prive toute une génération d’un enseignement pluriel et libre.
04102014
Jeuneafrique

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