Nommé chef d'état-major de l'armée en août, ce quinquagénaire à l'allure débonnaire mène contre les jihadistes une guerre moins médiatisée que celle en cours contre Daesh. Mais tout aussi cruciale pour l'avenir de la région. Confidences.
Jusqu'à sa nomination par le Parlement de Tobrouk comme chef d'état-major en août, Abderrazak Nadhouri était un parfait inconnu à l'étranger. En Libye, ce militaire de carrière était connu des milieux révolutionnaires pour avoir repris du service en 2011.
Uniforme impeccable, brodequins cirés de frais, béret vissé sur le crâne, il reçoit dans le hall d'un hôtel du 8e arrondissement de Paris, à quelques encablures du palais de l'Élysée. Sourire aux lèvres, épaisse moustache, ses réponses sont courtes, précises : "Le général Khalifa Haftar ne joue plus aucun rôle sur le terrain." Pas même comme commandant de l'opération Dignité, lancée en mai contre les islamistes radicaux de Cyrénaïque ? "C'est un officier à la retraite, l'un des plus capés de l'armée nationale."
Un conflit entre les deux hommes ? "Aucun. Je respecte son expérience, c'est un conseiller dont j'écoute l'avis." Haftar, un simple conseiller. Pas plus ? "Barack Obama a bien nommé le général Allen, qui était à la retraite, pour coordonner l'opération en cours contre Daesh. Si Obama a eu tort, alors moi aussi."
Putsch parfait
À Paris, Nadhouri a mené sa visite au pas de charge. Après avoir rencontré ses homologues français du ministère de la Défense, il a été de la délégation qui s'est réunie avec le secrétaire d'État américain John Kerry et avec le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU en Libye, l'Espagnol Bernardino León. Un baptême diplomatique pour le nouvel homme fort de l'armée libyenne, qui, après avoir été le bras droit de Khalifa Haftar, est en train de réaliser le putsch parfait.
Né en 1960 à Al-Marj, à une centaine de kilomètres à l'est de Benghazi, le général Abderrazak Nadhouri fait partie de la deuxième génération d'officiers libyens. Diplômé de l'académie militaire de Tripoli en 1982, il intègre la police militaire, puis, en 1985, la direction des renseignements. Un an plus tard, il retourne dans sa ville natale. Exclu de l'armée (avec rang de colonel) pour sa participation au complot des Warfalla, en 1993, il écope de la peine capitale.
"J'ai été condamné à mort pour complicité dans la tentative de renversement de Kadhafi, puis ma sentence a été commuée en prison à perpétuité. En 2004, j'ai été libéré, mais sans droit à ma solde ni à ma retraite." En mars 2011, il s'engage aux côtés des révolutionnaires du 17 Février. "Des soldats qui avaient été sous mes ordres sont venus me voir chez moi pour que je sois leur commandant. Nous avons rejoint le front de Brega."
C'est l'un des premiers terrains d'affrontement entre les troupes kadhafistes et la rébellion, muée en révolution armée. À cette époque, les forces rebelles essuient de lourdes pertes en raison de la supériorité militaire des loyalistes, qui lancent leurs blindés et leurs avions dans une contre-offensive en Cyrénaïque. Et Nadhouri d'égrener la liste des camarades d'armes tombés à ses côtés. "En avril 2011, j'ai constitué, avec Bouajila el-Habchi, Katibat al-Awfiya [la "brigade des loyaux"]." Elle se distinguera dans les combats à Misrata, fin juin. En août, ses hommes se préparent à prendre l'aéroport international de Tripoli. L'avancée rapide des Zintanis, qui entrent les premiers dans la capitale, conduit la brigade à Tarhouna, puis à Bani Walid.
À la libération, Nadhouri devient le commandant de la brigade 115 d'infanterie, basée à Al-Marj. En mai 2014, il récupère d'une blessure à la jambe qu'il traîne depuis 2011. Entre les soins qu'il reçoit en Suisse et ses séjours en Libye, il observe avec consternation la campagne d'assassinats ciblés contre "tout ce qui représente l'ordre". Policiers et militaires, officiers et soldats de rang sont tués par dizaines, sans que personne ou presque ne bouge le petit doigt.
"Après la libération, l'armée a été marginalisée par les "pseudo-révolutionnaires". Je considère que les authentiques révolutionnaires sont retournés à la vie civile. Les autres, et surtout les islamistes, ont tout fait pour empêcher la constitution d'une force à même de les gêner dans leur conquête du pouvoir." C'est une des raisons pour lesquelles Nadhouri choisira de se joindre, dès le départ, à l'offensive lancée par le général Khalifa Haftar, le 16 mai 2014, à Benghazi. L'opération Dignité trouve un écho favorable au sein des militaires : forces spéciales, armée de l'air, etc.
Les premiers combats font de nombreux morts. Parmi les "martyrs", un certain Ramzi Nadhouri, fils d'Abderrazak. "Je suis fier de son engagement, mais triste comme à chaque fois que notre armée enregistre des pertes humaines. Je prie pour lui, pour ses camarades et pour la Libye. Je suis amer de constater que nous en sommes encore là après la révolution."
Pour toutes ces raisons, Nadhouri mène un combat sans merci contre la menace jihadiste. "Au départ, nous ne savions pas d'où venaient les coups. Certains accusaient les azlem [partisans de l'ancien régime], mais c'était un leurre. Puis nous avons découvert les fosses communes et les preuves de la responsabilité des radicaux islamistes." Pour lui, la bataille en cours en Libye a le mérite de clarifier les camps. "Le peuple est de notre côté et contre les islamistes radicaux. Il l'a montré en manifestant et en prenant d'assaut dès 2012 les camps d'Ansar al-Charia, des "Boucliers de la Libye" et des Frères musulmans, à Benghazi et à Tripoli. Ces manifestations ont fait des dizaines de morts."
Nadhouri assume un discours Ă©radicateur
En bon lecteur de Clausewitz, Nadhouri a retenu que "la guerre n'est que la poursuite de la politique par d'autres moyens" et que "le premier acte de guerre est de désigner l'ennemi". Il n'hésite pas à déclarer hors-la-loi tous ceux qui, à ses yeux, empêchent la création de forces de sécurité nationales, même quand ils se revendiquent d'une prétendue légitimité révolutionnaire.
"[Les chefs d'Ansar al-Charia] Zahawi et Abou Khatala n'ont jamais été des révolutionnaires. Leurs seuls faits d'armes remontent à l'Afghanistan, où ils combattaient aux côtés de l'internationaliste jihadiste. Abdelhakim Belhadj et Khaled Sharif [un temps vice-ministre de la Défense et directeur de la prison Al-Hadba de Tripoli] sont aussi des vétérans de l'Afghanistan, responsables de l'afflux de combattants étrangers en Libye. Nos adversaires n'ont de soutien que turc et qatari. Ils ont définitivement perdu la confiance populaire."
Au moment où l'ONU et certaines parties régionales poussent à un dialogue avec les islamistes et leurs parrains, Nadhouri assume un discours éradicateur. Si le Parlement de Tobrouk et le gouvernement qui en est issu ont toute latitude pour participer aux offres de dialogue et de médiation, lui n'attendra pas de feu vert international pour mener les opérations militaires. Et il assume sa proximité de vues avec l'Égypte d'Abdel Fattah al-Sissi qu'il a déjà visitée deux fois depuis sa prise de fonctions. "La sécurité de la Libye participe de la sécurité de l'Égypte. Si nous ne triomphons pas des terroristes chez nous, cela deviendrait un problème pour tous nos voisins." 08112014 Jeuneafrique
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