C'était la région du Cameroun la plus prisée des touristes occidentaux. Mais depuis près de deux ans, plus personne n'ose s'aventurer dans l'Extrême-Nord du pays, où le groupe islamiste armé nigérian Boko Haram a multiplié les enlèvements, dans un climat de psychose.
"Avant on avait beaucoup de touristes, mais maintenant les gens ont peur de venir", explique à l'AFP Moussa Ali, vendeur au marché artisanal de Maroua, la capitale de la région de l'Extrême-Nord, étroite bande de terre coincée entre le Tchad l'est et le Nigeria à l'ouest.
Quelques rares clients - essentiellement camerounais - s'arrêtent encore devant son étal, mais, dit-il, "je peux faire deux semaines sans avoir une seule recette. C'était surtout les blancs qui nous faisaient gagner".
D'octobre à mars, en saison sèche, le parc national de Waza, célèbre pour ses girafes, ses antilopes et ses éléphants, accueillait autrefois plusieurs milliers de visiteurs par an, notamment des expatriés installés à Yaoundé et à Douala, la capitale économique, mais aussi de N'Djamena, la capitale toute proche du Tchad.
En plein dans l'actuelle zone "rouge" sécuritaire, à cheval entre Nigeria et Cameroun, les randonneurs pouvaient également sillonner le haut plateau des Kapsikis, superbe paysage lunaire où se dressent à perte de vue d'immenses pics rocheux. "Vous traverserez la frontière sans même vous en rendre compte!", affirmaient les guides locaux pour appâter le touriste.
La formule, dans cette région autrefois réputée tranquille, ne fait hélas plus recette. En 2013, les enlèvements de la famille française Moulin-Fournier, puis du français Georges Vandenbeusch revendiqué par Boko Haram, ont porté un coup fatal au tourisme, qui faisait pourtant vivre de nombreux villages alentours.
- 'Impact castastrophique' -
"L'impact est catastrophique sur le plan économique. Le tourisme et l'artisanat sont au point mort, l'hôtellerie n'en parlons pas", confirme le responsable de la communication au ministère du Tourisme, Serge Eric Epouné.
D'après lui, "Toute la région est aujourd'hui stigmatisée par les médias occidentaux, il y a une psychose exagérée, alors que seule une toute petite partie de l'Extrême-Nord est touchée par l'insécurité liée à Boko Haram".
Sur son site, le ministère des Affaires étrangères français déconseille non seulement à ses ressortissants de se rendre dans l'extrême-Nord, mais aussi dans deux régions voisines, le Nord et l'Adamaoua. "Il est demandé à tous les Français encore présents dans cette zone de la quitter dans les meilleurs délais", leur sécurité "n'étant plus assurée", indique-t-il.
"C'était déjà difficile car le Cameroun n'est pas une destination que les touristes choisissent naturellement mais là c'est pire. Les gens font vraiment l'amalgame entre le Cameroun et Boko Haram", se désole Annick Tchan Gang, directrice de l'Agence française de voyage, basée à Yaoundé, qui n'a plus vendu de voyage au nord "depuis des mois".
"Ce pays est pourtant exceptionnel, c'est toute l'Afrique en miniature", entre forêt luxuriante au sud, immenses plages de sable à l'ouest et savane aride au nord, explique cette Française installée au Cameroun depuis près de 25 ans.
Ainsi, les voyagistes tentent désormais de proposer des circuits plus culturels, comme la "route des chefferies et des royaumes traditionnels", ou la rencontre des populations pygmées en forêt par exemple.
- Sentiment d'abandon -
Mais pour les populations d'Extrême-Nord, le sentiment d'abandon est fort. Cette région aride où l'on cultive le mil et le coton est marquée par un taux de pauvreté qui dépasse les 65% (selon un rapport du PNUD 2010), contrastant avec le sud et l'ouest, à l'économie beaucoup plus dynamique.
La chute du tourisme, mais aussi l'arrêt des échanges commerciaux avec le Nigeria, d'où provenaient un grand nombre de marchandises et de produits manufacturés, creusent encore ce fossé.
Même les projets d'aide au développement et d'infrastructures ont été stoppés en raison de l'insécurité, comme en témoigne le chantier de rénovation d'un des principaux axes routiers du nord - en très mauvais état - à l'arrêt depuis l'enlèvement de dix ouvriers chinois (libérés depuis) à Waza en mai dernier. 18112014 Jeuneafrique
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