L'annonce d'un gouvernement de transition au Burkina Faso, dont la composition est un test majeur sur le rapport de forces entre le président Michel Kafando et son Premier ministre, le lieutenant-colonel Isaac Zida, est reportée à dimanche, les négociations ayant pris beaucoup de retard.
Ce report intervient "pour des raisons organisationnelles", a déclaré un officier proche de M. Zida à l'AFP, après un retard conséquent. Le cabinet ministériel intérimaire devrait être connu dimanche après-midi, a-t-il déclaré.
Alors que l'annonce du gouvernement était attendue dans la journée, le lieutenant-colonel, homme fort du pays depuis la chute de Blaise Compaoré, n'est allé que vers 19H30 (locales et GMT) à la présidence pour présenter une liste au chef de l'Etat intérimaire, selon une source militaire. En fin d'après-midi, un communiqué du président Kafando avait annoncé le report sine die du premier conseil des ministres, qui devait ponctuer la formation du gouvernement, un signe que les tractations duraient plus longtemps que prévu. Le refus par l'armée de plusieurs candidats présentés par la société civile serait à l'origine de ce retard, selon la source militaire.
"Appétits voraces"
Le casting ministériel avait été d'abord annoncé pour jeudi, puis pour samedi au plus tard. Divergences et rivalités au sein de l'opposition et de la société civile, dont un militaire dénonçait les "appétits voraces", ont compliqué le processus. La composition du gouvernement, qui ne sera actif qu'un an, sera scrutée à la loupe : elle permettra d'en savoir plus sur la répartition des pouvoirs au sommet de l'Etat.
"Maintenant qu'on a un numéro un et un numéro deux, on va voir si le numéro deux a, oui ou non, plus de pouvoir que le numéro un", a décrypté un diplomate. Si l'armée s'octroie les portefeuilles clés, la mainmise d'Isaac Zida devrait être ouvertement confirmée, selon des experts du dossier, même si le lieutenant-colonel a transmis symboliquement le pouvoir vendredi au président intérimaire. Si, à l'inverse, les civils occupent les principaux ministères (Sécurité, Affaires étrangères, Finances, etc.), cela signifiera que Michel Kafando gagne en indépendance... ou que l'armée manoeuvre plus subtilement.
Selon un document de travail émanant de la primature, daté de samedi et lu par l'AFP, l'armée semblait souhaiter s'arroger les postes clés du gouvernement ou en nommer les titulaires. On ignorait cependant si ce document devait être présenté à la présidence.
Un an pour relancer le pays
Le gouvernement intérimaire disposera d'un an pour remettre en marche ce petit pays sahélien de 17 millions d'habitants et préparer les élections présidentielle et législatives qui mettront fin à la transition en novembre 2015. Aucun membre de l'exécutif ne pourra être candidat aux scrutins.
Vendredi dans son discours d'investiture, M. Kafando a d'ores et déjà fixé un cap très clair : tourner la page des 27 années de pouvoir de Blaise Compaoré, l'ex-président chassé par une insurrection populaire fin octobre. "Avec ceux qui ont méprisé cette justice et qui pensent qu'ils peuvent dilapider impunément le denier public, nous réglerons bientôt les comptes", a affirmé le président intérimaire, dénonçant les "richesses inexpliquées", les "privilèges indus" et les "avantages oligarchiques" du clan Compaoré, dont l'ancien diplomate a représenté le régime aux Nations unies de 1998 à 2011.
Nommé lundi après deux semaines d'intenses tractations, il a envoyé un autre signal fort en annonçant des investigations pour identifier le corps du président Thomas Sankara, tué à la suite d'un putsch qui porta au pouvoir en 1987 Blaise Compaoré.
La famille Sankara demande depuis 1997 l'exhumation de la dépouille de cette icône du panafricanisme pour vérifier que le corps enterré est bien le sien, ce que la justice burkinabè n'a jusqu'à présent jamais accepté.
Le président intérimaire "récupère" et "surfe" sur "les thèmes qui portent" : "Sankara, pour les jeunes, et la morale pour une certaine opinion qui réprouvait la gestion du régime Compaoré", analyse Siaka Coulibaly, un politologue burkinabè. Mohamed Ndo, un mécanicien de 31 ans, est visiblement convaincu par cette entrée en matière. "Les choses ne doivent plus être comme avant. Le soulèvement populaire, c'est pour le changement, et celui qui est là doit le montrer!"
(AFP) 23112014 Jeuneafrique
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