Sous un arbre du village soudanais de Tabit, le procureur général du Darfour écoute une à une des habitantes au sujet d'allégations faisant état d'un récent viol collectif perpétré par des soldats.
En costume malgré la chaleur, Yassir Ahmed Mohamed, assis à une table, prend des notes en écoutant le récit d'une femme en tunique colorée. Une dizaine d'autres attendent en ligne pour lui parler.
Soumises Ă une vive pression internationale au sujet de ce viol collectif, qui aurait Ă©tĂ© commis sur 200 femmes et filles du village le 31 octobre, les autoritĂ©s soudanaises ont rĂ©cemment transportĂ© sur place une trentaine de journalistes pour dĂ©montrer qu'elles enquĂȘtaient.
Les responsables, dont le procureur général, ont néanmoins refusé de s'exprimer sur le sujet pendant la visite.
Khartoum ne cesse depuis début novembre de contester ces allégations qui ont provoqué des tensions avec la mission conjointe ONU-Union africaine au Darfour (Minuad).
Au cours de la visite, réalisée sous l'oeil de soldats, nombreux sont les habitants de Tabit à exprimer leur soutien à l'armée. Ils affirment que les militaires les protÚgent de plusieurs groupes rebelles continuant à opérer dans les environs.
"Les relations avec l'armée sont bonnes, elle aide les habitants", déclare ainsi un villageois, Mouhahadein Surour, qui travaille comme aide-soignant.
Tabit est situĂ© dans le nord du Darfour, oĂč les violences ont fait plus de 300. 000 morts et 2 millions de dĂ©placĂ©s depuis le dĂ©but en 2003 d'une insurrection. Les rebelles, qui appartiennent Ă des tribus non arabes, dĂ©noncent leur marginalisation dans le pays.
La localité est passée en 2003 sous le contrÎle des rebelles, avant que les forces gouvernementales ne la reprennent sept ans plus tard. L'armée maintient depuis une garnison non loin.
- Un rapport Ă©voque des intimidations -
Rapportés par Radio Dabanga, une radio locale sur internet et site d'informations, les viols se seraient produits alors que des soldats fouillaient le secteur à la recherche d'un de leurs camarades disparus.
A l'arrivée des journalistes à bord d'un convoi de 40 pick-up protégé par des soldats lourdement armés, une foule de quelque 300 personnes ont brandi des banderoles sur lesquelles était inscrit: "Nous rejetons l'accusation selon laquelle nos filles et s?urs ont été violées". "Honte, honte à Radio Dabanga!", scandaient-ils.
Malgré la violence persistante, une habitante de 27 ans, Nadia Osmane, assure que la situation est plus calme que les années passées.
"Les jours de guerre ont été difficiles, nous ne pouvions pas quitter le village. Maintenant l'atmosphÚre est calme", affirme la jeune femme, sans faire référence aux allégations de viol collectif.
Ces derniĂšres n'ont pu faire l'objet d'une enquĂȘte rĂ©ellement indĂ©pendante.
Le 9 novembre, la Minuad, aprĂšs un premier refus des autoritĂ©s, a pu se rendre Ă Tabit, oĂč elle n'a pas trouvĂ© de preuves d'un viol collectif.
Toutefois, un rapport confidentiel de la Minuad a fait Ă©tat d'intimidations auxquelles se serait livrĂ©e l'armĂ©e au moment oĂč elle enquĂȘtait. Des soldats soudanais suivaient et enregistraient les entretiens des Casques bleus avec les villageois, et la Minuad a fait Ă©tat d'"une ambiance de peur et de silence".
Depuis, Khartoum a refusĂ© les demandes de la Minuad de retourner sur les lieux pour poursuivre son enquĂȘte, et lui a demandĂ© de prĂ©parer une "stratĂ©gie de retrait" du Darfour.
L'affaire a écorné encore un peu plus l'image du régime soudanais. Au pouvoir depuis 25 ans, Omar el-Béchir est recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité et génocide au Darfour.
Vendredi, lors d'une rencontre avec des diplomates occidentaux, le ministre adjoint des Affaires étrangÚres, Abdoullah al-Azraq, a de nouveau nié les allégations de viol, en soulignant que des soldats de la garnison étaient mariés à des femmes du village.
"Nous ne disons pas que nous sommes des anges, mais nous sommes certains Ă 100% de ne pas ĂȘtre des dĂ©mons", a-t-il assurĂ©. 24112014 Jeuneafrique
|