Prévu de longue date mais occulté par les autorités, le bref séjour d'Abdelaziz Bouteflika en France pour un contrôle médical de routine a - une fois de plus - alimenté les plus folles rumeurs.
C'est une caricature ravageuse d'Ali Dilem parue le 17 novembre dans le quotidien francophone Liberté qui illustre le mieux le sentiment d'une large frange d'Algériens au lendemain de l'admission de leur président dans un centre hospitalier français. On y voit la porte de la cellule de la plantureuse starlette de la téléréalité Nabilla, détenue à la maison d'arrêt pour femmes de Versailles, avec cette bulle assassine : "Tu construis une mosquée à 1 milliard d'euros et t'as même pas d'hôpital ? Non mais allô quoi !"
Évacué le 13 novembre vers le service de cardiologie et de maladies vasculaires de la clinique d'Alembert, du Groupe hospitalier mutualiste de Grenoble, Abdelaziz Bouteflika a quitté l'établissement dans l'après-midi du 15 novembre. Escortée par une escouade de policiers français, la délégation présidentielle a gagné l'aéroport avant de s'envoler pour Alger à bord d'un jet Gulfstream. Le lendemain, le président recevait les lettres de créance de quatre nouveaux ambassadeurs dans sa résidence de Zeralda, sur le littoral ouest d'Alger, transformée en lieu de convalescence et en siège de la présidence bis. Abdelaziz Bouteflika a donc repris sans tarder ses activités protocolaires.
Depuis un ulcère hémorragique en novembre 2005 et, surtout, un accident vasculaire cérébral (AVC) survenu en avril 2013, le président algérien effectue de fréquents séjours en France ou en Suisse pour des soins ou pour des périodes de convalescence plus ou moins courtes. Un feuilleton médical qui dure depuis presque dix ans. Mais les problèmes de santé de Bouteflika, 77 ans, au pouvoir depuis 1999, ne l'ont pas dissuadé de briguer sa propre succession et d'être réélu en avril dernier. Certes, il n'a pas fait campagne et a dû prêter serment sur une chaise roulante, mais, dans la mesure où il gouverne réellement le pays, "où est le problème ?" disent ses partisans.
Black-out total autour de l'hospitalisation
Seulement voilà , bien que prévu de longue date, ce déplacement à Grenoble dans le cadre d'un contrôle médical de routine a déchaîné une véritable tempête médiatique. Durant les deux jours qu'aura duré ce séjour, presse, télévisions, radios et réseaux sociaux, sur les deux rives de la Méditerranée, ont rivalisé d'imagination pour se livrer à une surenchère verbale d'un goût douteux : Bouteflika aurait encore "rechuté", il serait "dans un état critique", voire "dans le coma" ou carrément "mourant". "Ses obsèques" seraient même en préparation "dans un cimetière d'Alger"...
Ces rumeurs, comme toujours complaisamment relayées par le microcosme politico-médiatique d'Alger, ont eu d'autant plus d'écho que les autorités algériennes avaient fait le black-out total autour de cette hospitalisation. Au moment même où le président était entre les mains de ses médecins français, à Grenoble, la télévision publique ouvrait son journal de 20 heures sur un message de félicitations adressé par Bouteflika à Mahmoud Abbas à l'occasion de l'anniversaire de la proclamation de l'État palestinien par Arafat, le 15 novembre 1988.
Pis, des sources à El-Mouradia, siège de la présidence de la République, assurent que le chef de l'État n'a pas quitté la capitale, qu'il travaille "normalement", tandis que des ministres jurent qu'ils ne sont au courant de rien et qu'ils attendent un communiqué, lequel ne viendra jamais. Plutôt que de communiquer en temps et en heure, les autorités choisissent de laisser courir les supputations autour de la santé du chef de l'État.
Du pain bénit pour les opposants
Journaliste, politologue et écrivain, Abed Charef s'interroge sur ce couac retentissant de la communication officielle. "Y a-t-il eu mauvaise évaluation de la situation ? Pensait-on qu'il était possible de garder secret ce voyage, malgré internet, Facebook, Twitter, les chaînes télé d'infos en continu, les services spéciaux de tous les pays du monde ? C'est complètement absurde. En fait, ceux qui ont été maintenus dans l'ignorance, ce sont les Algériens. Les dirigeants français savaient tout, évidemment. Et bien à l'avance. Cela va de soi."
Bien sûr, ce nouvel épisode autour de la santé d'Abdelaziz Bouteflika est du pain bénit pour ses opposants, qui ne cessent de dénoncer la "vacance de pouvoir" ou l'incapacité supposée du président à assumer ses fonctions. Le 19 novembre, la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD), réunie autour de plusieurs partis de l'opposition, ainsi que d'anciens chefs de gouvernement, comme Ali Benflis, Ahmed Benbitour ou Sid Ahmed Ghozali, réclame à nouveau la tenue d'une élection présidentielle anticipée. Un ancien ministre membre de cette coordination n'y va pas par quatre chemins : "Le chef de l'État est impotent, il ne tient plus de Conseil des ministres, ne s'adresse plus à ses concitoyens, ne voyage plus à l'intérieur du pays, encore moins à l'étranger, si ce n'est pour des séjours médicaux. Il est temps que l'on applique l'article 88 de la Constitution."
"Faux, rétorque un député du Front de libération nationale (FLN), premier parti du pays. Réclamer l'application de ce fameux article de la loi fondamentale, qui prévoit la destitution du chef de l'État en cas de grave maladie ou de vacance de pouvoir, est un faux-fuyant dans la mesure où le président de la République gère les affaires du pays. Vous voyez bien qu'il continue de recevoir des ambassadeurs ?" 29112014 Jeuneafrique
|