Maroc : malgré un plan gouvernemental, la santé mentale toujours en souffrance
le 10/12/2014 10:36:28
Maroc

Le gouvernement marocain s'est lancé dans un vaste programme de mise à niveau pour la prise en charge des maladies mentales, mais le secteur souffre toujours de carences majeures, en infrastructure ou en personnel.

Selon la dernière enquête épidémiologique, "40% de la population marocaine âgée de 15 ans et plus souffre, ou a souffert, d?un trouble mental" -d'intensité évidemment variable -, dont près d'une femme sur deux.

En 2012, la santé mentale a ainsi été érigée au rang de "priorité" par le ministère de la Santé, qui s'est donné pour objectif de doubler les capacités d'accueil à l'horizon 2016 -en passant à 3. 000 lits- et de former 30 psychiatres et 185 infirmiers spécialisés.

D'ici là, le royaume doit également se doter de trois nouveaux hôpitaux régionaux spécialisés en psychiatrie, d'une dizaine de services intégrés aux structures hospitalières déjà existantes ou encore de quatre unités de pédopsychiatrie.

Cette mise à niveau avait au préalable été identifiée comme une "urgence" par le Conseil national des droits humains (CNDH, officiel), dans un rapport intitulé "santé mentale et droits de l?Homme: l?impérieuse nécessité d?une nouvelle politique", qui alertait sur le manque de moyens et les conditions parfois "inhumaines" de certains internements.

A mi-chemin du programme gouvernemental, les objectifs restent toutefois "loin d?être remplis", selon l'hebdomadaire Tel Quel. Aucun des trois hôpitaux spécialisés "n?est encore sorti de terre", même si "les travaux devraient commencer à la fin de l?année" 2014, d'après la même source.

Sollicité par l'AFP, le ministère de la Santé n'a pu fournir dans l'immédiat un état des lieux actualisé.

Pour Fouad Mekouar, membre de l'Association marocaine pour l'appui, le lien, l'initiation des familles des personnes souffrants de troubles psychiques (Amali), il existe bel et bien "une volonté de l'Etat de prendre les choses en main".

Mais "sur le terrain, il est toujours difficile d'obtenir un lit à l'hôpital. La plupart des établissements sont débordés. C'est vraiment une bataille (. . . ) et il faut que le cas soit très grave", poursuit ce père d'un enfant atteint de schizophrénie.

- 'Malédiction' et 'manque de foi' -

Dans un douar de la région de Ben Slimane (centre), le cas de Soukaina B. , 21 ans, semble illustrer ces difficultés.

D'après ses proches, la jeune femme, qui souffre de troubles psychiques, est le plus souvent enchaînée à un poteau, à même le sol, dans la modeste maison en terre de cette famille pauvre de dix enfants.

"Nous l'avons emmenée plus d'une cinquantaine de fois à l'hôpital, mais ils ne veulent pas la garder", explique à l'AFP son père, Mohamed. "Les médicaments qu'on nous donne ne font que l'endormir. Je ne sais plus quoi faire", se lamente-t-il.

Selon un responsable au ministère de la Santé, il ne peut s'agir d'un cas de refus de prise en charge.

"Les médecins ne refusent pas de soigner ces malades et l'internement n'est plus préconisé qu'en période de crise", explique-t-il.

Cet officiel relève en outre que le traitement des maladies mentales est, par décret, "gratuit" au Maroc.

Le manque de moyens n'est toutefois pas la seule explication aux difficultés de certains malades.

En plus d'un accès "précaire" aux soins, les personnes atteintes de pathologies mentales sont en effet victimes de "rejet" social, explique Jalal Toufik, le chef de service de l'hôpital psychiatrique Arrazi de Salé, ville jumelle de Rabat.

Les troubles mentaux marqués par "l'agitation et l'incohérence" sont, selon lui, considérés comme des "malédictions ou encore des possessions", tandis que ceux marqués "par la tristesse, comme la dépression", sont taxés de "manque de foi". "Cela favorise des pratiques d'un autre âge", juge-t-il.

Ces pratiques vont du recours à la médecine traditionnelle au maraboutage, en passant par l'internement à Bouya Omar, un mausolée situé à une cinquantaine de kilomètres de Marrakech (sud).

Un millier de pensionnaires y seraient internés pour se faire exorciser, selon la presse locale. Certains subiraient de mauvais traitements, d'après des témoignages toutefois rares, l'accès à l'établissement étant des plus réglementés.

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