Congo, République démocratique : Denis Mukwege et l'hôpital Panzi victimes de l'acharnement du fisc ?
le 07/01/2015 10:03:34
Congo, République démocratique

L'hôpital Panzi, établissement fondé par le docteur Denis Mukwege, est au centre d'une polémique en RDC. L'administration lui réclame en effet plusieurs centaines de milliers de dollars en vertu de l'impôt professionnel sur la rémunération. La direction de l'hôpital crie quant à elle à l'injustice.

Nous sommes fin décembre 2014. À Bukavu, au sein de l'hôpital Panzi, fondé par le docteur Denis Mukwege, on se prépare au passage à l'année 2015 en espérant qu'elle soit meilleure que la précédente. Pourtant, cette période de fêtes va prendre une tournure assez inattendue.

"Nous avons été surpris d’apprendre, le mardi 29 décembre, que la Direction générale des impôts (DGI) avait viré 43 millions de francs congolais du compte de l’hôpital de Panzi vers celui du Trésor public", raconte le docteur Grâce Muhima, présidente de l’assemblée générale de Panzi. Le résultat d'un contentieux entre le fisc congolais et les responsables de l'hôpital.

Que s'est-il passé ? Où en est-on aujourd'hui ? Jeune Afrique fait le point.

Que reproche l'administration congolaise Ă  l'hĂ´pital ?

L'administration fiscale estime que l'hôpital Panzi, qu'elle considère comme une structure privée, contrairement à ce qu'affirment ses défenseurs, n'a pas rempli ses obligations concernant l'impôt professionnel sur la rémunération (IPR) depuis 2012. Depuis septembre 2014, elle considère en effet comme imposables les primes versées au personnel par leur employeur.

"Panzi a refusé la retenue à la source de l'IPR", explique Dieudonné Lokadi Moga, directeur général des impôts, dans une conférence de presse le 5 janvier 2015. Suite à un contrôle fiscal débuté en mars 2014, la DGI a donc opéré une saisie de 43 millions de francs congolais (environ 46 000 dollars) sur le compte de l'hôpital au titre de l'exercice 2012.

Elle se réserve même la possibilité d'une opération plus importante, représentant plus de 600 millions de francs, soit près de 650 000 dollars, au regard de l'année 2013. "L'hôpital Panzi a fait obstruction au contrôle fiscal annuel", soutient Dieudonné Lokadi Moga.

Que répond l'hôpital ?

De son côté, l'hôpital Panzi crie au scandale. "Nous ne refusons pas de payer l’impôt car cela est un devoir civique. Mais comment comprendre que nous soyons le seul hôpital général de référence du pays à être astreint à payer l’IPR ?", s’interroge le docteur Muhima, présidente de l’assemblée générale de Panzi.
Selon sa direction, Panzi possède le statut d’Hôpital général de référence (HGR). Il estime surtout, sur la base d'une convention étatique du 21 août 2010 et d'une déclaration de l'Inspection générale de la santé du Sud-Kivu datant de janvier 2013, deux documents que Jeune Afrique s'est procurés, que c'est à l'État d'assurer la fourniture des médicaments, les frais de fonctionnement et le versement des salaires des agents sous statut public, soit environ 200 personnes. Et donc que l'administration fiscale doit récupérer à la source le montant de l'impôt. "Ces employés sont des agents de l’État à part entière, à l’instar du personnel d’autres HGR qui sont soumis à un régime fiscal de prélèvement à la source par le ministère des Finances", explique Denis Mukwege."Les agents qui travaillent dans les hôpitaux généraux sont des agents sous statut, c’est-à-dire des agents de l’État. C’est l’État qui paye leur salaire et soutire à la base cet impôt", renchérit Jean de Dieu Cubaka, qui officie à Panzi.

Selon la version de l'hôpital, l'administration fiscale n'a donc aucun droit de demander le prélévement de l'IPR. Denis Mukwege, qui affirme rémunérer 90 employés qui n'ont pas encore obtenu le statut d'agent de l'État, et payer un impôt de 8 400 dollars à ce titre, réclame le remboursement de la somme saisie le 29 décembre. Ce que n'envisage pas une seule seconde la DGI pour le moment.

La direction de Panzi affirme avoir tenu, le 20 septembre 2014, une réunion avec la DGI, dans lequel il serait "apparu que certaines formations médicales, jouissant du même statut que l’Hôpital général de référence de Panzi, ne paient pas cet impôt bien qu’accordant à leurs agents des primes locales et cela en vertu de la loi". Et de citer un arrêté départemental du 22 juillet 1987, que Jeune Afrique reproduit ci-dessous, portant fixation des modalités et conditions de répartition des recettes générées par les praticiens médicaux et paramédicaux du secteur public.

L'État a-t-il tort ?

"Panzi étant un hôpital de référence, l'État devrait allouer des salaires à tout le personnel de l'hôpital. Il ne le fait pas et l'établissement se force donc à accorder une petite prime à ses employés. Et c'est cette prime que le gouvernement veut taxer aujourd'hui", s'indigne la Société civile du Sud-Kivu.

"Vous pouvez aller consulter la carte sanitaire de la RDC, la zone de santé d’Ibanda fait partie des zones de santé reconnues par l’État congolais et l’hôpital général de référence de Panzi est l’hôpital reconnu comme hôpital étatique dans cette zone de santé", assure Denis Mukwege. "Tant qu’on ne nous a pas encore enlevé ce statut d’hôpital général de référence, le traitement que nous subissons est un acharnement", insiste-t-il.

"Panzi ne fait pas l'objet de discrimination et est soumis au même régime que toutes les autres formations hospitalières. C'est une structure privée contrairement à ce qui a été dit dans les médias", affirme pourtant Dieudonné Lokadi Moga.

En rapport avec le contentieux, Panzi a assigné en justice depuis le 4 novembre 2014 la DGI, la Banque commerciale du Congo (BCDC), qui a effectué la saisie, et l’État congolais devant la Cour d’appel de Bukavu. L’affaire, fixée initialement au 18 novembre 2014, a été reportée sine die suite à une grève des magistrats puis au décès de l'un deux à la veille de la date d’audience. "La justice ne fonctionne pas", déplore Denis Mukwege.

"Le docteur Mukwege a la possibilité de négocier le montant et les échéances, en apportant des preuves", estime Lambert Mende, ministre de la Communication. "S'il n'entre pas en contact avec la direction des impôts, on risque de lui prendre encore 600 000 dollars, au regard de l'exercice 2013/2014", ajoute-t-il.

Est-ce une affaire politique ?

Au vu de la personnalité de Denis Mukwege, personnage public très populaire dont le travail est internationalement reconnu, des doutes sur les véritables motivations de l'administration n'ont pas tardé à faire surface. D'aucuns parlent d'acharnement tandis que l'ombre d'une manœuvre politique plane sur le dossier, alors que le chirurgien s'est vu remettre le prix Sakharov, fin 2014.

À cette occasion, il avait durement critiqué le pouvoir congolais, qu'il accusait, devant le Parlement européen, d'être incapable de protéger la population. Il s'était également exprimé, en tant que citoyen, pour dénoncer les tentatives de modification de la Constitution en vue de permettre à Joseph Kabila de briguer un nouveau mandat en 2016.

"Je réfute catégoriquement les allégations selon lesquelles il y a acharnement sur le docteur Mukwege", répond Dieudonné Lokadi Moga, directeur général de la DGI. "Si tout le monde refuse de payer l'IPR, quel pays voulez-vous construire demain ?", poursuit-il.

Lambert Mende ne dit pas autre chose. "Tout le monde paie l'impôt, quelle que soit sa position, même le président Kabila", explique-t-il. "C'est le respect qui lui est dû qui explique qu'il ait pu échapper à ses obligations pendant tout ce temps. Le docteur n'a pas daigné répondre [à la DGI], même pas avec un accusé de réception", ajoute-t-il, entrant en contradiction avec les déclarations de l'intéressé qui affirme que les responsables de l'hôpital et l'administration fiscale ont eu plusieurs réunions depuis septembre 2014.

Le ministre de la Communication refuse toutefois de confirmer que le gouvernement est particulièrement attentif à ce dossier. "Nous n'avons pas cette mentalité", répond-il. Denis Mukwege, quant à lui, refuse toute spéculation. "Vous me posez la question 'Pourquoi seulement maintenant ?'. Je crois qu'il faut le demander à ceux qui ont posé cet acte. Je ne voudrais pas aller au delà des faits constatés", se contente-t-il de déclarer.

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