Quatre personnes accusées d'avoir détourné des millions d'euros destinés à indemniser des victimes du Probo Koala ont été condamnées mardi à vingt ans de prison... tout en restant libres. Explications.
En Côte d'Ivoire, on peut écoper d'une lourde peine de prison sans y mettre les pieds. Comme en septembre 2013 dans un autre procès (celui de la corruption dans la filière café/cacao), ce fut le cas mardi 13 janvier pour quatre personnes, formellement accusées d'avoir détourné des millions d'euros destinés aux victimes des déchets toxiques du cargo Probo Koala, déversés dans la lagune d'Abidjan en 2006. Verdict : une condamnation à vingt ans de prison, mais sans mandat de dépôt.
"C'est une peine symbolique. (...) L'impunité est encore consacrée, a déploré Me Pierre Tanoh, l'avocat d'un plaignant. La décision n'est pas juridiquement fondée, c'est une décision politique". "Les juges ont subi des pressions. Les magistrats qui voulaient dire le droit ont eu des problèmes", a pour sa part affirmé Charles Koffi, un plaignant, qui s'est dit "très déçu". "Nous n'avons plus confiance en la justice", a-t-il regretté, ajoutant que "les pouvoirs se succèdent mais leurs comportements demeurent les mêmes."
4,65 milliards de francs CFA
Les quatre accusés, qui faisaient partie d'une association de défense de victimes des déchets toxiques, ont été condamnés pour avoir détourné 4,65 milliards de francs CFA (plus de 7 millions d'euros). Cette somme, prélevée sur les indemnités versées par la multinationale Trafigura, affréteur du navire chargé de déchets, était destinée à indemniser 6 000 victimes. La banque nigériane Access Bank, par où l'argent a transité, a de son côté été condamnée à payer une amende de 21 milliards de FCFA (environ 32 millions d'euros).
Les quatre condamnés "ont été déclarés non coupables de faux et usage de faux mais coupables d'abus de confiance et de blanchiment", a expliqué Me Zika Tapé, qui défend l'un d'entre eux. "Vingt ans ferme mais pas de mandat de dépôt : c'est une décision infamante. Elle ne peut pas être symbolique", a-t-il vitupéré, regrettant que l'"honorabilité" de son client soit entachée. Les avocats des deux camps ont décidé de faire appel.
L'ombre d'Adama Bictogo
"Aujourd'hui, on a condamné des personnes qui ne représentent rien dans le dispositif", a critiqué Me Tanoh, qui soupçonne trois banques et un politicien d'avoir subtilisé la plupart des fonds. La justice ivoirienne avait renoncé en juillet 2012 à poursuivre dans ce dossier l'ancien ministre Adama Bictogo, figure du parti du président Alassane Ouattara. Bictogo reste toutefois susceptible d'être poursuivi au civil pour avoir perçu une avance "indue" de 600 millions F CFA (900 000 euros), alors qu'il ne devait être rémunéré pour sa médiation qu'après l'indemnisation de toutes les victimes, soulignait alors le parquet d'Abidjan.
Le déversement de résidus toxiques à Abidjan en août 2006 avait causé la mort de 17 personnes et des milliers d'intoxications. Trafigura a toujours nié qu'il ait provoqué décès et maladies graves.
(Avec AFP)
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