De nouveaux heurts entre soldats et jihadistes ont tué deux enfants vendredi dans l'instable péninsule du Sinaï en Egypte, où 30 personnes, en majorité des militaires, ont péri jeudi dans des attentats de la branche égyptienne du groupe Etat islamique (EI).
La vaste campagne lancée il y a plus d'un an pour enrayer l'insurrection jihadiste dans le Sinaï n'a pas réussi à stopper les attentats spectaculaires contre les forces de l'ordre, régulièrement visées depuis que l'armée a destitué le président islamiste Mohamed Morsi en 2013.
Après les attaques coordonnées de jeudi soir, le président Abdel Fattah al-Sissi, tombeur de M. Morsi lorsqu'il était chef de l'armée, a annulé sa participation au sommet de l'Union africaine en Ethiopie et a regagné le Caire.
Au terme d'une réunion d'urgence, le haut commandement militaire s'est dit dans un communiqué "déterminé à poursuivre et intensifier les opérations contre tous les éléments terroristes et extrémistes dans le Sinaï et dans tous le pays".
Jeudi, la principale attaque s'est déroulée dans un périmètre ultra-sécurisé au coeur d'Al-Arich, chef-lieu de la province du Nord-Sinaï.
Des roquettes ont d'abord été tirées sur le quartier général de la police et une base militaire adjacente, avant qu'un kamikaze ne lance sa voiture piégée sur l'entrée de la base, selon des responsables.
Quelques minutes plus tard, des tirs de roquettes ont visé un complexe résidentiel proche, où sont logés des officiers. Grand allié du pouvoir égyptien, Washington a condamné "avec vigueur les attaques terroristes", affirmant que les Etats-Unis continuaient "de soutenir de manière inébranlable les efforts du gouvernement pour combattre la menace terroriste en Egypte".
L'Iran a aussi condamné l'attaque et souligné "la nécessité d’une coopération des pays de la région contre l'extrémisme et le terrorisme". Vendredi, les corps des victimes ont été transférés au Caire par les avions de l'armée, selon des responsables.
L'armée a par ailleurs lancé des offensives contre les jihadistes dans le Sinaï et les affrontements vendredi ont coûté la vie à un bébé de six mois, touché d'une balle à la tête, et à un enfant de six ans, tué par une roquette, selon des responsables.
Des mesures "inefficaces"
Jeudi soir, d'autres attaques ont visé plusieurs points de contrôle de l'armée dans le nord du Sinaï. Ces attentats ont été revendiqués par Ansar Beït al-Maqdess, principal groupe jihadiste du pays et rallié à l'EI.
Et ailleurs en Egypte, un policier est mort dans l'explosion d'une bombe dans la ville de Suez (nord-est). Si l'armée égyptienne fait régulièrement état de "succès" dans ses opérations anti-jihadistes dans le Sinaï, elles sont loin d'avoir réduit la force de frappe de ces groupes, qui disent agir en représailles à l'implacable répression (plus de 1.400 morts) dont sont victimes les partisans de M. Morsi.
Fin octobre, déjà dans le secteur d'Al-Arich, une attaque spectaculaire sur un campement militaire revendiquée par Ansar Beït al-Maqdess avait tué 30 soldats. Les autorités avaient alors décrété l'état d'urgence sur un périmètre du nord du Sinaï allant d'Al-Arich à Rafah, à la frontière avec la bande de Gaza.
Cet état d'urgence, qui s'accompagne d'un couvre-feu sévère, a été récemment prolongé pour trois mois. L'armée s'est également lancée dans la construction d'une zone tampon le long de la frontière avec l'enclave palestinienne, pour éviter l'infiltration d'armes et de jihadistes. Des centaines de familles ont dû être déplacées.
Mais ces deux mesures -état d'urgence et zone tampon- sont "inefficaces" et risquent même de faire pencher les populations locales en faveur des jihadistes, juge Ahmed Abd Rabo, professeur de Sciences politiques à l'université du Caire. "C'est de la vengeance arbitraire qui va engendrer encore plus de terrorisme," estime-t-il.
Pour Mathieu Guidère, spécialiste français des mouvements jihadistes, Ansar Beït al-Maqdess a adopté un mode opératoire similaire à celui de l'EI: il veut désormais contrôler de nouveaux territoires et non plus mener des attaques ciblées.
"On a un commandement militaire qui a une carte devant lui, qui décide de plusieurs opérations dans différents endroits (...) et qui réfléchit en terme de gains territoriaux," explique le professeur d'islamologie et de géopolitique à l'Université de Toulouse (sud-ouest de la France).
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