Burkina Faso : Zéphirin Diabré : "Nous jugerons la transition burkinabè sur pièces"
le 02/02/2015 17:33:40
Burkina Faso

Image redimensionnéeConfiant mais vigilant, Zéphirin Diabré, le chef de l'Union pour le progrès et le changement (UPC) sera candidat à l'élection présidentielle prévue le 11 octobre 2015 au Burkina Faso.

Ne comptez pas sur Zéphirin Diabré, 55 ans, pour (sur)jouer les révolutionnaires qui veulent tout casser. Cet ancien ministre de Blaise Compaoré (1992-1996) cultive la modération. Cela ne l'a pas empêché de s'imposer comme chef de file de l'opposition dès décembre 2012, après avoir fait de son parti, l'Union pour le progrès et le changement (UPC), vierge de tout scrutin car créé en mars 2010, la deuxième force politique du pays après le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) de "Blaise". Aujourd'hui, évidemment, il lorgne l'élection présidentielle prévue le 11 octobre 2015. À sa manière : avec ambition mais prudence.

Jeune Afrique : Quel jugement portez-vous sur la transition et, plus largement, sur l'Ă©tat du pays ?

ZÉPHIRIN DIABRÉ : Malgré les couacs prévisibles dans une telle situation - car ceux qui ont la charge de mener la transition n'ont pas tous l'expérience nécessaire -, le bilan est globalement positif. Mais le véritable objectif, ce sont des élections libres et crédibles à l'issue desquelles le Burkina reviendra à la normalité et à la légalité. Nous jugerons donc sur pièces... Concernant le pays lui-même, il est évident que sur le plan politique les cartes ont été rebattues. C'est bien. Mais nous assistons à des débordements ou à des revendications, plus ou moins fondées mais permanentes, qui peuvent inquiéter.

On peut comprendre que tout le monde se défoule, mais attention : l'État doit préserver toute son autorité. Autre évidence en ces temps troublés : l'économie patine et les investisseurs font preuve d'attentisme. Nous ne sortirons de cette spirale que lorsqu'un régime civil élu prendra le relais de la transition. Le problème, c'est que les revendications sociales, elles, demeurent.

Les principaux acteurs de cette transition, du président Michel Kafando aux membres du gouvernement en passant par le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, vous semblent-ils à la hauteur des enjeux ?

Je crois en tout cas qu'ils ont pleinement conscience de la situation. Et qu'ils mesurent leurs limites.

Les élections législatives et présidentielle pourront-elles se tenir d'ici à octobre 2015 ?

Notre Commission électorale nationale indépendante est capable de gérer cela, donc je ne vois pas de raisons objectives d'en douter. Rien ne laisse penser que nous ne puissions y parvenir. Maintenant, en politique, il ne faut jurer de rien.

Après le temps de l'union sacrée face à Compaoré, vient inévitablement celui de la compétition politique. Quelles relations entretenez-vous avec vos alliés d'hier mais concurrents de demain ?

Elles demeurent très cordiales. Les valeurs que nous avons défendues face à la manipulation de l'article 37 ne peuvent disparaître facilement. Après, chacun a ses idées et son programme, ses envies d'alliance ou non, qu'il devra défendre.

Dans l'optique de la présidentielle, qui est votre principal adversaire ? Roch Marc Christian Kaboré, Ablassé Ouédraogo, comme on le dit souvent, ou bien un autre ?

Méfiez-vous de ce qui semble trop simple, les événements récents nous ont démontré qu'il ne faut sous-estimer rien ni personne. Je ne fais aucun complexe de supériorité : tous ceux qui se présenteront sont mes concurrents et seront considérés comme tels. À moi de démontrer que je vaux mieux.

Vous êtes issu d'une ethnie minoritaire, les Bissas. Or au Burkina, le pouvoir semble être dévolu aux Mossis. Pensez-vous que cela soit toujours valable en 2015 ?

Mon origine ethnique n'a jamais été un frein à mon action. Cela ne m'a pas empêché d'être élu chef de file de l'opposition. Ni l'ex-président, issu de l'ethnie majoritaire, d'être renversé par une insurrection populaire qui rassemblait toutes les composantes de notre société... Maintenant, nous sommes en Afrique, tous les paramètres entrent en ligne de compte. Ce qui m'intéresse, c'est d'obtenir la confiance de mes compatriotes pour de bonnes raisons.

Avec le recul, quel bilan faites-vous de l'ère Compaoré ?

Il a dirigé ce pays durant vingt-sept ans : il y a évidemment du bon, mais aussi du moins bon. Ne soyons pas amnésiques ou de mauvaise foi, c'est un homme de qualités, qui a mis ces dernières autant que possible au service de son pays et de sa stabilité, même si cela a confiné à l'immobilisme sur la fin. En revanche, en matière de chômage des jeunes, de participation des femmes à l'économie, de corruption, d'accaparement des richesses par un petit nombre d'opérateurs, le tableau est sombre. C'est d'ailleurs, au-delà de l'article 37, la véritable raison de l'explosion de la colère des Burkinabè.

Doit-il ĂŞtre poursuivi ?

Encore faut-il qu'on lui reproche des faits précis et qu'il y ait des plaignants, l'État ou les citoyens. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Être chef de l'État et vouloir le rester au-delà du raisonnable est une faute, certes, mais pas un crime.

Pourrait-il rentrer au pays et jouir de son statut d'ancien président ?

L'ambiance est trop électrique, ce n'est pas envisageable dans l'immédiat. Ce qui est certain, c'est que nous souhaitions sincèrement, l'ensemble de l'opposition comme une grande partie des Burkinabè, que le président Compaoré aille au bout de son mandat en 2015, qu'il se retire dignement et nous fasse profiter de son expérience. Son entêtement et sa mauvaise appréciation de l'évolution du pays en ont décidé autrement, et c'est vraiment dommage.

Son parti, le CDP, a-t-il encore un rĂ´le Ă  jouer ?
Ils

sont groggy mais il ne faut pas les enterrer. Tout dépendra de la suite des événements. On l'a vu sous d'autres contrées africaines, notamment au nord du Sahara : si le prochain régime ne fait pas bien son travail, ils ressusciteront...

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Propos recueillis par Marwane Ben Yahmed

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