Algérie : Mokhtar Belmokhtar, le parrain du Sahelistan
le 04/02/2015 17:07:35
Algérie

Pour les militaires français, qui le traquent depuis deux ans, il est l'homme à abattre. Pleins feux sur le doyen - et le plus insaisissable - des jihadistes algériens.

Rien de neuf sous le soleil du désert : au pays des aveugles et des fous de Dieu, dans ce "Jihadistan" en mouvement permanent qu'est devenue une partie du Sahel, "le Borgne" est toujours le roi de l'esquive. Il a déménagé, a changé ses habitudes, a perdu un à un ses lieutenants, mais celui que l'on surnomme également l'Insaisissable court toujours.

Depuis sa fuite du Mali, au plus fort de l'opération Serval début 2013, le jihadiste le plus recherché du Sahel, Mokhtar Belmokhtar, aurait fait du Sud-Ouest libyen - et plus précisément du triangle qui relie Sebha à Ubari et à Murzuq, et qui est considéré aujourd'hui comme une "zone grise" par les services de renseignements occidentaux - son nouveau repaire.

Il y aurait installé les membres de sa famille et les hommes de sa katiba, les Signataires par le sang. Il y aurait aussi pris femme, dans une des familles qui comptent dans la zone, comme il le fit voilà plus de dix ans dans le nord du Mali - riche idée qui lui valut de nombreux soutiens locaux. À Paris, on affirme qu'en ce moment c'est dans le nord de la Libye qu'il se trouve le plus souvent (il aurait été vu à Benghazi dernièrement). À Niamey, on dit qu'il se serait également marié dans le nord du Niger avec une femme issue d'une tribu arabe. Mais, comme pour tout ce qui touche à Belmokhtar, le conditionnel est de mise.

Personne ne sait réellement ce qu'il fait, où il est, ce qu'il pense et à combien se chiffre le nombre de ses combattants. Sont-ils un millier, comme l'indiquent certaines agences de renseignements ? Dix fois moins, comme le pensent les services nigériens ? La dernière action d'envergure qu'il a revendiquée remonte à mai 2013, lorsque ses hommes perpètrent un double attentat dans les villes nigériennes d'Arlit et d'Agadez, quatre mois après l'attaque d'In Amenas en Algérie.

Cela ne signifie pas que Belmokhtar a pris sa retraite. Ce n'est pas son genre, même si les frappes françaises dans la région lui ont fait mal depuis deux ans : il a perdu une demi-douzaine de lieutenants, parmi lesquels Hacène Ould Khalil (alias Jouleibib), Omar Ould Hamaha (Barbe rouge), son beau-père et le dernier en date, Ahmed al-Tilemsi, "neutralisé" le 11 décembre dans le Nord-Mali.

Début janvier, le groupe qu'il a fondé, Al-Mourabitoune, a revendiqué plusieurs attentats contre les Casques bleus au Nord-Mali. Puis, dans un communiqué publié sur internet qui lui est attribué, il aurait lui-même tenu à féliciter les auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo en France : "Par leur détermination, nos frères ont choisi leur cible de façon minutieuse. Ils ont épargné les Français ordinaires, qui étaient pourtant à leur portée. Ils voulaient ainsi dire à l'ennemi et à nos alliés qu'ils étaient porteurs d'un message noble. [...] Ces attaques ne vont pas s'arrêter. Elles vont se poursuivre contre vos intérêts et dans vos lieux de rassemblement jusqu'à ce que vous vous retiriez de nos terres et de nos pays."

Le mythe est vivant

Voilà vingt ans que cet homme sème la mort dans le Sahel, vingt ans qu'il en réchappe miraculeusement. Comme un torero, il joue avec, tourne autour d'elle, la tutoie, mais ne la trouve jamais. C'est un vétéran de l'Afghanistan, un vétéran de l'Algérie, un vétéran du Mali. Il a survécu aux éclats d'obus dans les montagnes afghanes, aux balles de l'armée mauritanienne entre deux dunes, aux missiles des avions de chasse français, mais, à l'âge de 42 ans, il continue de se battre. Depuis Paris, Washington ou Niamey, on le suit, on le traque même, mais on n'arrive pas à lui mettre la main dessus.

"Nous avons régulièrement des informations sur lui. Mais aucune occasion ne s'est présentée à nous depuis longtemps", se désole un haut responsable des renseignements nigériens. La France en a fait sa "HVT" (high-value target, "cible de première importance") numéro un. Les États-Unis ont mis sa tête à prix - il vaut, à leurs yeux, 5 millions de dollars. Mais rien n'y fait, le mythe est bien vivant, il est même en train de se débarrasser d'une vieille rumeur qui court à son sujet depuis des années et qui le blesse au plus haut point.

Longtemps, Belmokhtar a été présenté comme un narco-jihadiste, un "voyou fanatique", un simple trafiquant de cigarettes. Ne le surnommait-on pas Mister Marlboro dans le désert ? Pourtant, ceux qui ont eu à le côtoyer ou à enquêter sur lui l'affirment avec force : cette réputation est infondée. "Mister Marlboro, c'est une construction des services de renseignements algériens, qui ont intoxiqué les services de renseignements des autres pays, dont la France", assure un médiateur qui a passé plusieurs nuits dans le désert avec Belmokhtar afin de négocier des libérations d'otages.

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