Après la libération de l'Australien Peter Greste et celle annoncée d'un confrère canadien, le troisième journaliste d'Al-Jazeera détenu au Caire s'apprête à rester seul en prison car il ne possède pas comme ses co-accusés de passeport étranger.
Devant le tollé international déclenché par la condamnation de l'Egyptien Baher Mohamed et de ses deux collègues étrangers accusés d'avoir "falsifié" des informations, le président Abdel Fattah al-Sissi a promulgué un décret, fort opportun, autorisant l'expulsion des étrangers condamnés ou en instance de jugement.
C'est ainsi que M. Greste a été expulsé il y a une semaine et que M. Fahmy, un Egypto-canadien, a renoncé à sa nationalité égyptienne pour pouvoir être élargi.
La remise en liberté de M. Fahmi, annoncée comme imminente depuis plusieurs jours, se fait cependant attendre et son avocate, la très médiatique Amal Clooney a demandé à rencontrer le président Sissi pour accélérer sa libération.
Les trois journalistes de la chaîne qatarie ont été condamnés à la prison pour leur soutien présumé à l'opposition islamiste, avant que la Cour de cassation n'ordonne en janvier un nouveau procès.
Lors de cette audience, dont la date n'est pas fixée, Mohamed Baher pourrait donc être seul devant les juges.
"Nous payons le prix de notre nationalité égyptienne", se lamente Jihane Rached, la femme de M. Mohamed, dans leur maison d'une banlieue huppée du Caire. "C'est le summum de l'injustice, que mon mari soit en prison et continue à être jugé, tandis que ses collègues étrangers sont expulsés", ajoute-t-elle.
L'arrestation des trois hommes en décembre 2013 est intervenue sur fond de guerre froide entre L'Egypte et le Qatar, le principal soutien des Frères musulmans qui a dénoncé l'éviction de M. Morsi et la répression de ses partisans (plus de 1.400 manifestants tués).
'Tragédie' familiale
Les trois hommes ont été condamnés en première instance à sept ans de prison, et M. Mohamed a écopé de trois ans supplémentaires après que la police a trouvé à son domicile une douille de pistolet usagée.
"Notre famille vit une véritable tragédie", déplore Jihane Rached, 30 ans et mère de trois enfants - Hazem, 5 ans, Fayrouz, 3 ans, et Haroun, 8 mois, né alors que son père était en prison.
Elle cherche désormais à obtenir une nationalité étrangère pour son mari, pourtant opposé à l'idée. "Je n'ai rien fait de mal pour devoir renoncer à ma nationalité", lui a-t-il dit lors de sa dernière visite en prison.
"C'est le seul moyen pour le faire sortir", persiste pourtant Mme Rached. "Je veux une autre nationalité pour lui et les enfants, pour protéger leurs droits dans le futur, pour trouver une ambassade qui nous défende dans les tribunaux", poursuit-t-elle.
Pour l'heure, M. Mohamed, 32 ans, ne peut être relâché que si le parquet accepte une demande de remise en liberté présentée par la famille, ou si le tribunal qui rejugera l'affaire ordonne sa libération sous caution, explique son avocat Moustapha Nagui.
Le journaliste pourrait aussi bénéficier d'une grâce présidentielle, mais seulement après un verdict final, une fois tous les recours en justice épuisés, ajoute Me Nagui.
Dix journalistes en prison
Dans le même temps, les médias égyptiens, hostiles en grande majorité aux Frères musulmans ainsi qu'au Qatar, ne se préoccupent guère du sort de M. Mohamed, déplore son épouse.
Au total, au moins 10 journalistes, M. Mohamed inclus, seraient toujours derrière les barreaux, selon des ONG.
Le président Sissi, l'ex-chef de l'armée qui a destitué M. Morsi, est accusé par des organisations de défense des droits de l'Homme d'avoir instauré un régime extrêmement autoritaire, réprimant toute opposition, islamiste mais aussi laïque.
Pour Mohamed Hazem, le père de Baher Mohamed, "le problème de Baher est indissociable des difficultés que connaissent les journalistes égyptiens aujourd'hui, dans un contexte où les libertés sont réduites".
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