Une loi pour corriger les déséquilibres hérités de la colonisation et de l'apartheid en Afrique du Sud où les agriculteurs blancs cultivent toujours la majorité des terres, devrait être votée cette année, limitant la propriété et empêchant les étrangers d'acquérir du foncier.
Annoncée jeudi soir par le président Jacob Zuma dans son discours annuel sur l'état de la Nation, la loi ne s'appliquera pas rétroactivement mais un droit de préemption notamment en faveur de l'Etat est prévu "si la terre est considérée comme stratégique", selon des détails divulgués samedi par la présidence.
Éminemment sensible et réveillant chez une partie des Sud-Africains le spectre de la violente réforme agraire du début des années 2000 au Zimbabwe voisin, la loi doit répondre au "besoin de garantir la sécurité alimentaire limitée du pays et de palier l'injustice foncière de plus de 300 ans de colonialisme et d'apartheid", a souligné la présidence.
D'où une réforme en trois temps. D'abord, un délai de cinq ans de plus déjà voté en 2014 pour que les familles de couleur expropriées sous la domination blanche puissent réclamer une restitution ou une compensation. Le délai court jusqu'au 30 juin 2019. Ensuite, le démembrement des très grands domaines. Et enfin, la possibilité à l'étude d'accorder 50% des droits de propriété d'une ferme aux ouvriers agricoles vivant et travaillant dessus.
Politiquement, le but de M. Zuma, ont souligné des commentateurs, est de couper l'herbe sous le pied à son plus bruyant adversaire du moment, le populiste radical Julius Malema qui a réussi une percée à l'Assemblée en 2014 en prônant des expropriations sans compensation.
La nouvelle loi, "bientôt présentée au conseil des ministres" limitera la propriété des terres à 12. 000 hectares par personne, soit "l'équivalent environ de deux fermes" et "si quelqu'un dépasse, le gouvernement achètera et redistribuera les terres excédant la limite", selon le communiqué.
- transformation "radicale" -
Concernant les étrangers, ils ne pourront plus que louer la terre pour 30 à 50 ans. Une mesure plus symbolique qu'autre chose puisque seulement 5% à 7% des terres sont aux mains d'étrangers, a critiqué Lew Geffen, dirigeant du réseau immobilier de luxe Sotheby International Realty. "C'est un très mauvais calcul susceptible d'avoir de sérieuses répercussions sur la confiance des investisseurs dans le pays", a-t-il ajouté.
"Ce ne sont pas tous les immigrants en Afrique du Sud qui seront exclus de la propriété", a indiqué la présidence, soulignant que cela concernait ceux qui n'ont pas la citoyenneté sud-africaine ou les personnes juridiques sous contrôle majoritaire étranger.
Autre précision inattendue mais de taille, "ceux qui sont déjà propriétaires ne verront pas leurs titres modifiés par la loi. Cependant, dans ces cas-là , un droit de préemption s'appliquera en faveur d'un autre citoyen sud-africain et de l'Etat si le terrain est considéré comme stratégique", selon la présidence.
"En outre, les terres sensibles pour l'environnement et la sécurité, ou ayant une signification culturelle, historique, ou stratégique (pour la réforme agraire et le développement socio-économique) seront classifiées par la loi et leur propriété par des étrangers dans ces zones sera découragée", ajoute la présidence.
Une "Commission aux terres" sera instaurée auprès de laquelle les propriétaires auront obligation de se déclarer en termes de race, de nationalité, de genre, de superficie et d'usage de la terre possédée.
L'ANC, toujours parti de coeur de la majorité noire mais en perte de vitesse après plus de vingt ans au pouvoir, a promis une transformation socio-économique "radicale" du pays.
Or, aujourd'hui encore, les agriculteurs blancs descendants de colons cultivent toujours la grande majorité des meilleures terres et possèdent 80% du foncier.
Ignorant la majorité noire du pays, l'Afrique du Sud s'était dotée en 1913, du temps de la domination anglaise et afrikaner, d'une législation interdisant aux Noirs d'acheter des terres sauf sur une portion réduite du territoire (de 10% puis 13% maximum).
Ce texte, conforté ensuite par d'autres sous l'apartheid à partir de 1948, a "permis qu'on puisse prendre en toute légalité les terres aux Africains indigènes", rappelait début 2014 M. Zuma.
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