Ils ne seront pas présents aux procès Sonatrach I et II, à Alger et à Milan. L'ancien ministre, son épouse et son neveu étaient pourtant au coeur du système.
Chakib : le parrain
Il ne sera pas présent, le 15 mars, dans le box des accusés du tribunal criminel d'Alger, pour le procès Sonatrach I. Il ne sera pas non plus à Milan, le 13 mai, où la juge chargée de l'enquête préliminaire, Alessandra Clemente, va entendre les huit dirigeants de l'entreprise Saipem poursuivis dans le cadre de Sonatrach II, une affaire de pots-de-vin de 198 millions d'euros versés à des responsables algériens.
Mais à Alger comme à Milan, il sera beaucoup questions de lui, Chakib Khelil, de son éventuelle responsabilité dans le premier scandale et de son enrichissement supposé illicite dans le second. Singulier destin que celui de cet homme que certains de ses ex-collègues ministres continuent d'appeler "le cow-boy texan", référence aux années passées par Khelil dans cet État américain réputé pour ses bandits et son pétrole.
Il y a cinq ans encore, il était le puissant patron des hydrocarbures. Depuis deux ans au moins, il est traité de voleur, tant et si bien qu'il a trouvé refuge à Washington pour échapper aux poursuites judiciaires en Algérie, en Italie voire au Canada. Si le mandat d'arrêt international lancé contre lui en août 2013 par le procureur d'Alger a été annulé pour vice de procédure, la menace plane toujours sur sa tête. Il suffirait que la justice algérienne réclame son extradition...
Gestion cavalière des hommes
Quand ce docteur en ingénierie pétrolière débarque à l'aéroport d'Alger, en 1999, en jeans et coiffé d'un chapeau texan, il glisse ceci au chauffeur chargé de l'accompagner vers la résidence d'État de Djenane el-Mithak : "Cela fait trente ans que je n'ai pas mis les pieds en Algérie, je compte sur vous pour me protéger." Élu président, son ami Abdelaziz Bouteflika l'a rappelé de sa retraite à la Banque mondiale pour lui confier les clés du ministère de l'Énergie.
Brillant et cassant, méticuleux et autoritaire, intelligent et susceptible, chaleureux mais hautain, Chakib Khelil dirigera d'une main de fer, pendant dix ans, le département des hydrocarbures et la compagnie pétrolière nationale - et ne voudra en référer qu'au seul chef de l'État. Aussi, quand Abdelaziz Belkhadem, chef de gouvernement de 2006 à 2008, demande des comptes sur la gestion de Sonatrach, peut-on entendre son ministre de l'Énergie bougonner : "De quoi il se mêle, celui-là ?" Sa gestion un peu cavalière des hommes a fini par lui valoir rancoeurs et inimitiés dans la grande famille des pétroliers.
En février 2001, par exemple, Abdelhak Bouhafs, PDG de Sonatrach, apprendra son limogeage par téléphone, sans que son ministre de tutelle ne daigne l'en informer. Chakib Khelil prendra d'ailleurs la place de Bouhafs jusqu'à la nomination de Mohamed Meziane, en 2003. "On ne pouvait pas acheter un stylo sans qu'il soit informé et consulté", caricature un ancien cadre du groupe. Pour garder la mainmise sur la société, notre ministre nomme son neveu, Réda Hemche, chef de cabinet du PDG de Sonatrach.
Son homme de confiance placé au coeur de la machine, Khelil peut ainsi superviser tout ce qui s'y décide, et notamment les contrats que la firme algérienne signe avec ses partenaires étrangers. A-t-il réellement trempé les doigts dans le pot de confiture, tout comme son épouse et ses deux enfants, comme le soupçonnent des juges algériens ? "Il faudra bien qu'un jour il s'explique sur ses cinq comptes suisses, avance un avocat qui a travaillé sur les dossiers Sonatrach I et II. Sa demande auprès de la justice helvétique pour bloquer la transmission vers Alger de ses documents bancaires pourrait être interprétée comme un début d'aveu de culpabilité."
Najat la patronne
Les dirigeants de Sonatrach et du ministère de l'Énergie la surnommaient la patronne. C'est peu dire que Najat Arafat Khelil, épouse de Chakib Khelil, d'origine palestinienne mais naturalisée américaine, était une femme d'influence. Bien qu'elle n'ait pas exercé de fonction officielle au sein des deux institutions, elle n'en avait pas moins son mot à dire. "Najat était presque de tous les voyages qu'effectuait son mari, se souvient un haut cadre des hydrocarbures.
Elle assistait même aux réunions de l'Opep et aux dîners de ses dirigeants. Et quand elle n'était pas en Algérie, elle s'arrangeait pour rejoindre le ministre où qu'il se trouvât. On se demandait qui pouvait bien assurer ses frais de voyages, car les factures n'étaient réglées ni par Sonatrach ni par le ministère..."
Najat Khelil mettait la main à la rénovation du siège de Sonatrach
En Algérie, l'amatrice de cigares et de bourbon supervisait la construction, la décoration et l'ameublement du siège du ministère de l'Énergie, au Val d'Hydra, édifié dans le lit d'une rivière et qui avait fait couler beaucoup d'encre. Le jour de son inauguration, en février 2006, Bouteflika avait d'ailleurs lancé un regard noir à son ministre : "Tout ça pour ça ?"
Najat Khelil mettait également la main à la rénovation du siège de Sonatrach. "Elle ordonnait parfois de refaire certains travaux même si cela devait coûter une fortune", confie une connaissance. "Devant elle, Khelil ne respirait pas", persifle un haut responsable de l'armée qui a fréquenté le couple.
Najat et son mari étaient tellement méfiants, ajoute une autre source, qu'ils parlaient en anglais pour ne pas être compris du petit personnel du ministère. Najat Khelil a-t-elle pris part à la conclusion de certains contrats qui font l'objet d'enquêtes en Algérie et en Italie ? "Elle faisait le relais entre son mari et les sociétés étrangères", croit savoir un des prévenus. Une chose est sûre : la justice algérienne, qui a lancé en 2013 des mandats d'arrêt internationaux contre elle, son époux et ses deux fils, Sina et Khaldoun, assure détenir des preuves de leur implication dans des affaires de corruption.
RĂ©da le cerveau
Cet ancien régisseur consulaire qui a été inculpé, en 1997, pour trafic de voitures à Marseille (France) est présenté comme le cerveau des affaires de corruption et de malversations. Chef de cabinet du PDG de Sonatrach de 2003 à 2009, Réda Hemche était l'oeil, l'oreille et la main de son oncle Chakib Khelil, alors ministre de l'Énergie.
Bien qu'il ne possédât aucune expertise dans le pétrole ou le gaz, il intervenait dans tous les projets de Sonatrach. Dès le début des investigations du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), en juillet 2009, il demandera à partir en retraite. "Son dossier a été réglé en deux jours", assure une source interne. Pour le protéger des enquêtes ? Sans doute. Après avoir évacué son épouse en Suisse pour des soins médicaux, Hemche la rejoint et ne réapparaîtra plus jamais au pays.
La justice algérienne le recherche pour son rôle présumé dans le scandale de corruption lié aux huit contrats obtenus par Saipem à l'époque où il dirigeait le cabinet de Mohamed Meziane.
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