Soir après soir, le ciel virait à l'orange au-dessus de Boys Town, au Liberia, quand le crématorium incinérant les morts d'Ebola entrait en action. Ce rituel désormais révolu, les proches d'environ 2. 000 victimes ont récupéré leurs cendres pour leur offrir des funérailles et une sépulture.
Le site a fermé en janvier, en raison de la chute du nombre de décès dus au virus, mais Anita Zoegai, une résidente, a encore aux narines l'"odeur insupportable" des corps en train de brûler et des cendres âcres qui s'en échappaient, dans cette ville située à environ 35 km de Monrovia, la capitale.
"Nos enfants tombaient malades. Beaucoup de gens ont quitté la ville. Je déteste entendre parler de cet endroit appelé crématorium", lâche Mme Zoegai, 45 ans.
Le Liberia, pays qui compte officiellement le plus grand nombre de morts de l'épidémie en Afrique de l'Ouest - 4. 162 sur plus de 10. 000 - n'a pas signalé de nouveau cas depuis février selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Au paroxysme de l'épidémie, la présidente Ellen Johnson Sirleaf a ordonné par décret en août 2014 la crémation de tous les morts, quelle qu'en soit la cause, les cadavres d'Ebola étant particulièrement contagieux.
De septembre 2014 à janvier 2015, quelque 2. 000 hommes, femmes et enfants ayant péri dans l'épidémie ont ainsi été incinérés au crématorium de Boys Town, au toit de tôle et hauts murs noircis par le feu.
La crémation est une pratique étrangère aux coutumes des Libériens, plus habitués à des rites funéraires où les défunts sont lavés, oints, touchés avant de leur rendre hommage et de les inhumer, dans l'espoir de leur assurer ainsi le repos éternel.
A la suite du décret présidentiel, la communauté indienne a offert au gouvernement l'accès complet au crématorium de Boys Town, qu'elle a construit en 1986.
Des habitants troublés par la noria macabre à leurs portes de corps venus de tout le pays et les émanations ont manifesté contre le crématorium et réclamé sa fermeture, tandis que des employés du site se voyaient stigmatisés, abandonnés par leurs amis et voisins, selon divers témoignages.
- "MĂŞme pas vu son corps" -
En dépit des protestations des habitants, les autorités sont restées inflexibles, arguant du manque de terrains et de moyens pour assurer des enterrements "sécurisés" aux défunts d'Ebola.
Ce n'est qu'en décembre que les chefs traditionnels ont proposé comme cimetière pour les victimes d'Ebola un terrain de 20 hectares sur la route de l'aéroport international, à 70 km à l'est de Monrovia, une suggestion retenue par le gouvernement, qui a donc accepté de les y enterrer.
Les cendres, conservées sans distinction dans des fûts métalliques - 16 au total - ont été transférées la semaine dernière de Boys Town au cimetière.
Des proches et diverses autorités y ont assisté à une cérémonie marquée par des danses traditionnelles, chants religieux et prières ?cuméniques.
Le chef du conseil des dirigeants coutumiers du Liberia, Zahn-Zahn Kawo, a présenté à l'assistance une noix de cola, geste de consolation pour les difficultés endurées par les populations de Boys Town.
Quelque part dans ces fûts se trouvent les cendres de la s?ur d'Helena Tarr.
"Je n'ai même pas vu son corps. Nous sommes allés au centre de traitement d'Ebola" où elle avait été admise, "on nous a dit qu'elle était décédée. Le médecin a dit que nous ne pouvions pas la voir", raconte Mme Tarr, 35 ans.
"On nous a montré un camion de la Croix-Rouge avec des corps empilés, et on nous a dit que ma s?ur était parmi eux", ajoute-t-elle.
Jacob Freeman, 23 ans, dont la famille entière - père, mère, deux s?urs et un frère - a été emportée par le virus, est venu au cimetière, où les fûts sont conservés sous un abri jusqu'à ce que les proches décident de leur sort: les enterrer, mettre des pierres tombales individuelles ou une stèle collective.
"J'ai prié Dieu de me donner l'occasion de voir où reposent leurs restes", une prière exaucée, dit le jeune homme. "Même si tous reposent dans une fosse commune, j'aurai au moins un endroit pour me recueillir".
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